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Spécial Halloween 2023 - île Tromelin - Ep.03 - La Providence Spécial Halloween 2023 - île Tromelin - Ep.03 - La Providence

Niveau de difficulté : 1

Épisode 4

Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue pour cette nouvelle vidéo spéciale Halloween de Terres du Passé !

L'histoire des naufragés de l'Utile que nous allons voir dans ce troisième épisode sur l'île Tromelin est tirée de faits réels. Ces faits prennent place entre le 1er août et le 27 septembre 1761 et ont été relatés dans le livre de bord par l'écrivain du vaisseau Hilarion Dubuisson de Keraudic. Certains passages, notamment sur le traitement que subirent les malgaches, sont choquants. 

Générique

Dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, l'Utile, poussé par le vent constant et les vagues, s'échoue sur les récifs peu profonds entourant l'île de Sable. Dans l'obscurité, l'île est invisible et les marins pensent s'être échoué sur un haut fond loin de toute terre. À 2h du matin, le 1er août 1761, le navire est brisé, scindé en deux morceaux. Les hommes et les esclaves survivants s'accrochent tant qu'ils peuvent aux restes du navire jusqu'aux premières lueurs du jour.

Nombreux sont ceux qui moururent sans savoir que leur salut ne se trouvait qu'à quelques brasses de distance. Mais quand, enfin, les premiers rayons du Soleil levant donnèrent un peu de clarté au monde, ils la virent. L'île ! Juste à côté d'eux ! Aussitôt, l'espoir remplit les coeurs des survivants !

"Terre ! Terre ! Et il y a des gens là-bas ! On est sauvé ! On est sauvé !"

Les hourras et les cris de joie résonnent dans le petit jour. Mais bien vite, les marins comprennent. La terre est proche, mais la mer est toujours déchaînée et rejoindre la côte sera difficile, voire dangereux. Des gens sont présents et les regardent depuis la plage. Mais ce ne sont que les membres de l'Utile qui sont tombés à l'eau dans la nuit et qui ont été rejetés par les vagues sur le sable et les débris coralliens. Des vivants et des morts, assis ou couchés à terre.

Le commandant, Jean de Lafargue, n'a toujours pas repris ses esprits. Il crie des ordres sans queue ni tête d'une voix éraillée et épuisée : "Remontez à bord ! Remontez tas de vermine, ingrats, ou vous serez fusillés ! Hissez les voiles ! Il faut repartir !"
Personne ne l'écoute.

Des hommes sautent à la mer et tentent de tirer des cordes entre le navire et la côte. Certaines zones sont si peu profondes que seules leurs chevilles sont immergés. À d'autres endroits, les hommes perdent pied. Mais les vagues se brisent et roulent sur les récifs, maltraitant les marins qui sont propulsés sur les coraux saillants à chaque déferlante. Si presque tout ceux qui s'y essayent parviennent à rejoindre la côte, tous la rejoignent en sang et ont perdu leur fardeau en chemin.

De plus, tous les marins et tous les esclaves ne savent pas nager. Certains s'entassent sur des radeaux de fortune que les plus robustes parviennent à tracter jusqu'à la plage.

Si les marins ne s'occupent pas des Noirs, Barthélémy Castellan du Vernet, pour sa part, s'efforce avec un officier, M. Olivier, de libérer les derniers esclaves pris aux pièges des cales du navire et de les aider à rejoindre l'île de Sable. Seuls 86 malgaches, hommes et femmes, ont survécu.

Jean de Lafargue, malgré sa folie grandissante, est parvenu à rejoindre la côte avec ses hommes. Il semble enfin comprendre et se terre dans un silence de mort, le regard vide, tout aussi perdu que son navire.

Castellan ne perd un instant. La mer s'apaise un peu et dès que les hommes sont à terre, il organise leur survie.

"Allons Messieurs ! Du coeur au ventre ! Il nous faut des vivres, du bois, tous les équipements que nous pourrons récupérer ! Avec moi ! Retournons sur le navire ! En ordre !"

Il ordonne à un de ses hommes d'emmener des esclaves avec lui pour creuser un puits et trouver de l'eau. Les marins, à nouveau guidés par Castellan, se mettent en action et retournent à bord de l'Utile. Ils parviennent à ramener des vivres : du vin, du cidre, du beurre, du lard, du boeuf, de l'huile, de la liqueur.

Les voiles de l'Utile sont récupérées et utilisées pour bâtir des tentes pour les marins.

L'écrivain du bord, Hilarion Dubuisson de Keraudic, tient un compte précis et rigoureux des réserves de vivres qu'ils sont parvenus à ramener : tout vol est condamné de la peine capitale. Le manque d'eau douce, cependant, pose un véritable problème dès le 1er août. En seulement quelques heures, 8 esclaves meurent de soif. Ils sont exploités sans ménagement et ils sont nombreux à mourir d'épuisement et de soif dans les trois premiers jours, tandis qu'ils creusent pour trouver de l'eau.

Finalement, ils parviennent à trouver un peu d'eau saumâtre, tout juste consommable, à 5 m de profondeur. Mais, bien qu'imparfaite, cette eau ne se târit jamais. Toutefois, comme certains esclaves en firent la preuve, ils ne doivent pas trop en consommer d'un coup, pour ne pas tomber malade ou mourir. Mais cette source d'eau se révéla suffisante, et même indispensable, pour survivre.

Dès le 4 août, Castellan dessine les plans d'une embarcation d'assez grande taille et résistante, un catamaran, et ce sont les malgaches qui servent de main d'oeuvre à sa réalisation en employant le bois de l'Utile.

Ils bâtissent une forge, efficace et un four.

Le 9 août 1761, les hommes voient au loin un vaisseau à deux mâts. Aussitôt, ils essayent de lui faire signe, brûlent des barils de poudre, mais le navire s'éloigne sur le route des Indes, sans les avoir vu.

Les vivres se révélant insuffisants, les survivants commencent rapidement à chasser les oiseaux et les tortues qui ont élu domicile sur ce petit relief de calcaire qui émerge à peine des eaux tourmentées de l'océan Indien tropical. La survie s'organise. Si les marins ne restent pas inactifs, les esclaves sont exploités sans vergogne.

Il leur faut deux mois pour bâtir La Providence, un navire capable d'affronter la mer et d'emporter 122 hommes. Castellan travaille comme dix hommes. Maître charpentier, constructeur, ingénieur du navire, il guide sans relâche la construction et ne ménage pas ses peines. Les malgaches donnent toutes leurs forces avec lui pour mener à bien leur ouvrage. Le 27 septembre 1761, l'équipage français embarque dans La Providence, abandonnant derrière lui les 60 esclaves survivants avec une promesse d'un jour, revenir les chercher.

Les esclaves, abattus, le regard sombre, observent La Providence tandis qu'elle disparait peu à peu à l'horizon. Castellan a promis de revenir les chercher. Il leur a laissé des vivres, du matériel et, espère-t-il, de l'espoir. Certains disent qu'il reviendra. Qu'il tiendra parole.

Durant les quatre jours suivant, La Providence progresse et l'océan est avec eux. Les marins naviguent sans grande difficulté. Le vent d'est, quasi-permanent sous ces latitudes, les pousse vers Madagascar, et leur chance de survie croît à mesure qu'ils approchent des eaux territoriales. Le commandant Jean de Lafargue ne s'est pas remis du naufrage de l'Utile et Castellan reste aux commandes.

Enfin, le 1er octobre 1761, La Providence atteint Madagascar !

Les marins sont immédiatement embarqués pour l'île Bourbon, actuelle île de la Réunion, puis pour l'île de France, actuelle île Maurice. Le Gouveneur Antoine Marie Desforges-Boucher, qui n'ignorait rien du petit jeu de l'Utile et de sa fraude au port de Foulpointe, est en rage contre Jean de Lafargue qui a ignoré son interdiction. Mais le commandant de l'Utile n'aura jamais l'occasion de se justifier : toujours malade, presque fou depuis le naufrage, il meurt durant son trajet entre Madagascar et l'île Bourbon.

Barthélémy Castellan du Vernet, pour sa part, est un homme de parole. Il a promis aux esclaves de revenir les chercher, et il demande encore et encore d'affrêter un navire pour aller à l'île de Sable et sauver les derniers survivants. Mais le Gouverneur n'a aucune intention de ramener sur l'île 60 Noirs qui seront autant de bouches à nourrir si les Anglais instaurent un blocus.

Castellan s'efforce toute une année durant d'envoyer des secours aux esclaves, mais finalement, en août 1762, il abandonne et rentre en France métropolitaine. Ainsi, il laissa derrière lui les esclaves abandonnés de l'Utile et ils furent oubliés durant onze longues années.

 

Nous voici, chers amis, au bout de ce troisième épisode. L'histoire que nous sommes en train de découvrir est marquée de la mentalité d'une autre époque. Le racisme est une norme et les marins méprisent presque tous la vie de ces Noirs qui ne sont qu'une marchandise parmi d'autres. Castellan, inquiet de leur survie dès le premier jour, semble un extra-terrestre parmi ses hommes.

Mais, si vous lisez le récit de Monsieur Hilarion Dubuisson de Keraudic, l'écrivain du bord qui éprouve clairement un mépris consommé pour les Noirs, vous verrez une évolution dans sa pensée. Si ses propos sont particulièrement choquant dans la première partie de son récit, qu'il écrit au jour le jour, ses mots sont de plus en plus charitables envers les malgaches et c'est bien le coeur lourd qu'ils abandonnent les esclaves le 27 septembre 1761. Ces mêmes esclaves qu'ils auraient laissé mourir sans regret le 1er août, lors du naufrage. Après tout, sans ces hommes et ces femmes, les marins auraient-ils survécu ? Auraient-ils pu fabriquer une telle embarcation ?

Demain soir, je vous propose de découvrir l'histoire des esclaves abandonnés. Alors en cette soirée de Halloween, trinquons ! Trinquons à ces hommes et ces femmes qui se sont donnés sans réserve pour sauver des marins qui, pour tout remerciement, les laissèrent sombrer dans l'oubli durant onze ans.

Merci d'avoir regardé cette vidéo jusqu'au bout.

Passez une belle soirée, et à demain.

Echelle chronologique des événements ayant marqué le naufrage de l'Utile

Références Bibliographiques