Partie 03/10 - Hervé Gillet nous parle du super-pouvoir des géologues par la sismique réflexion
Transcription de la vidéo
Bonsoir à tous.
Donc moi je suis Hervé Gillet, je suis maître de conférences à l’Université de Bordeaux, comme mes collègues, la plupart.
J’ai travaillé dans le Messinien il y a bien longtemps, c’était au moment de ma thèse, il y a 20 ans, et en plus je travaillais sur un bassin très très spécial, notamment parce que j’ai bossé sur le Messinien pas en Méditerranée, mais en Mer Noire. Un bassin encore plus... compliquée.
Alors comme vous a dit Laurent, on va vous présenter, moi, Laurent et puis Athina, les marqueurs de cette crise, comment cette crise a été enregistrée dans le bassin. Et comment est-ce que les géologues ont réussi à essayer de reconstituer l'histoire.
Ce qu'a montré Laurent, c’est que, malgré nombre important de scénarios qui est proposé, ils ont tous en commun, en fait, d'avoir une chute du niveau marin qui est plus ou moins importante et qui va engendrer l’exondation, c'est-à-dire la mise à l’air libre des bords de ce bassin.
Et ça, ça va s'accompagner de creusement de surface d'érosion.
Vous avez tous déjà peut être remarqué sur la plage à marée basse, quand la marée descend, s’il y a de l’eau sur la plage, il y a des petits minis systèmes fluviatiles qui se créent et qui vont inciser, qui vont creuser et vont créer des minis canyons.
Et donc imaginez ça à l'échelle de la Méditerranée et on devrait trouver des traces des bords de la Méditerranée complètement érodés, creusés.
Alors un des problèmes qu’on a, c’est où et comment chercher ces traces d'érosion ?
Parce qu'effectivement, comme vous l’a dit Laurent, la mer Méditerranée, depuis, elle s'est remise en eau, et si elle s’est remise en eau en plus, la sédimentation a repris et les traces qu’on cherche, les indices qu’on cherche, sont probablement cachés sous l'eau et cachés sous les sédiments.
Donc c'est pas facile d'aller chercher des informations.
Donc on ruse un petit peu, nous les géologues, on va utiliser un système qu'on appelle la sismique réflexion, qui consiste en fait à faire une échographie des sédiments sous fond de la mer.
On utilise en fait des ondes acoustiques, des ondes sismiques, à des fréquences qui sont de l'ordre de la dizaine de Hertz jusqu'à quelques milliers de Hertz. Et ça, ça nous permet d'avoir des coupes verticales sous le sédiment, c'est à dire par exemple, sur cette image, vous avez le fond de la mer ici et puis dessous, là, on est descendu à de l’information jusqu’à 1000 mètres sous le sédiment. Donc c'est ce genre de document que je vais vous montrer.
Une zone qui est très propice à la recherche de ces indices, c'est le golfe du Lion.
Donc ici, reconnaissez le golfe du Lion, Perpignan, Marseille, ici en vert-jaune vous avez plutôt le plateau continental, donc la partie peu profonde de la mer Méditerranée. Ça, c'est les canyons actuels sur le rebord du plateau, qui vont vers la plaine abyssale méditerranéenne. Ça, j'insiste, c’est les canyons actuels, c'est la bathymétrie, le fond de la mer actuel qu’on connait. Donc on va aller voir ce profil là, qui est au large de Perpignan, et qui va, grosso modo de la côte vers le large.
Donc sur ce profil sismique qu'on voit, donc je le repète, ça c’est l’échelle horizontale, on va de la côte vers le bassin. Et ça, c'est l'échelle verticale, c'est des temps double hein, mais en fait, vous pouvez imaginer que ça, c'est la profondeur. Et on va voir à quoi ça correspond en termes de [...?].
Donc ce qu'on voit très très bien sur ce profil sismique, c’est une espèce de bizarrerie ici, ce qu'on appelle, nous, les géologues une discontinuité, qu’on voit très bien ici, c’est-à-dire que les sédiments qui sont d’âge Miocène ont été complètement recoupés, entaillés par une surface qui est très irrégulière, et c'est la forme typique d'une surface d'érosion.
Et au-dessus, quand on fait des forages, les sédiments qui viennent celer cette surface d'érosion eux sont d’âge Plio-Quaternaire, donc ça colle parfaitement. Cette surface d'érosion est à la limite entre le Miocène et le Plio-Quaternaire, c'est donc la surface d'érosion Messinienne qu'on surnomme la Mess, et ici, comme on le voit effectivement, elle est cachée sous 1 000 m de sédiments.
Alors ça, c'est l'image de la surface d’érosion Messinienne sur un profil donné, mais imaginez ça considéré sur tout un tas de profils qu'on a dans la zone, ça nous permet en fait de voir ça en pseudo-3D. Et donc il y a des gens qui ont fait des cartes de cette surface d’érosion. C'est un travail qui date déjà des années 2000. C'est Paul Guennoc du BRGM qui a supervisé ce travail-là. Donc ce que vous avez ici, c'est une cartographie de la surface d'érosion Messinienne dans le golfe du Lion.
Donc ce qu'on voit très bien sur ce genre de document-là, on comprend bien que la côte là, était complètement descendue très bas et très loin de sa position actuelle. Les fleuves ont complètement ré-incisé, se sont remis en équilibre, en fait, avec ce nouveau mud-pass comme on l’appelle. Et donc on observe exactement ce qui est cartographié là, à grande échelle.
C'est ce qu'on observe sur le fleuve à marée basse, donc de l’incision associée à cette chute du niveau marin.
Alors, ce que vous avez peut être également regardé, si vous faites un peu de géologie, d'analogie sur la plage, c’est que si vous regardez les petits canyons qui se créent sur la plage, eh bien, on voit très très bien que, au cours du temps, ils reculent.
C’est assez marrant : l'écoulement se fait de l'amont vers l'aval, donc de la plage vers la mer et l'érosion, elle, elle remonte. Donc ça, c'est ce qu'on appelle de l'érosion régressive. Une érosion qui remonte vers l’amont.
Et ça, c'est exactement ce qui était observé également dans le golfe du Lion, puisqu'on voit très très bien que le Rhône, notamment, a fait de l’érosion régressive qui part vers le nord, l'Hérault également a ré-incisé, et puis les petits fleuves côtiers du Languedoc, du Roussillon, la Têt et le Tech, ont également incisé.
Donc, si on regarde ce qui s'est passé au niveau du Rhône, ça c'est les travaux de M. Clauzon en 1982, il a démontré que le canyon messinien du Rhône était remonté comme ça jusqu'au niveau de la ville de Lyon, donc sur plusieurs centaines de kilomètres.
Si vous regardez sur le plus gros fleuve du bassin méditerranéen, le Nil, ça en fait, c’est les travaux de Chumakov, c'est un Russe, dans les années 73, on s’aperçoit que le canal messinien du Nil est remonté sur plus de 850 kilomètres dans les terres jusqu'au niveau de la ville d'Assouan.
Alors pourquoi Assouan, ben en fait, si vous connaissez, c’est là qu’il y a un énorme barrage hydroélectrique qui a été construit par les Égyptiens, mais avec l’aide des russes, et en fait la grosse surprise quand ils ont construit ce barrage, c'est que quand ils ont voulu ancrer ce barrage sur le socle, ils ont fait des forages pour trouver où était ce socle, et grosse surprise, le socle était beaucoup plus loin qu’ils n’imaginaient.
Et pourquoi il était plus loin ?
Ben parce qu'il y avait ce fameux canyon messinien du Nil à l'endroit où ils voulaient l'implanter.
Alors, ici vous avez des données beaucoup plus récentes qui sont dans le bassin du Levant en Méditerranée orientale. Donc ici, on est encore une fois sur de la sismique réflexion, même si cette fois-ci, on a une sismique 3D. C’est-à-dire qu’on a une telle densité de profils sismiques qu’on a la même résolution, en fait, dans toutes les directions.
Ça, ça nous permet de faire des cartes, comme par exemple ici ce travail de M. Madof en 2019.
À partir de ces blocs 3D, on peut obtenir une carte de très très haute résolution des surfaces d'érosion, et donc, à beaucoup plus haute résolution que ce que je vous ai montré dans le golfe du Lion.
Et là on voit clairement sur ce genre de document, ben voilà, des géométries vraiment sub-aériennes, des vallées, ou des vallées comblées ici et ici, des systèmes méandriformes et donc là sans équivoque, des choses qui sont sub-aériennes, un système subaérien et à des profondeurs complètement inattendues.
Donc là, on va vraiment sur les preuves concrètes de cette chute importante du niveau marin en Méditerranée à cette époque.
Donc là, on revient en Egypte, analogue, on est plus tôt ici, dans cette partie là du système. Et il faut pour finir sur ces données qui sont vraiment parmi les plus intéressantes publiées dernièrement. En fait, bon, non seulement ils ont cartographié ce petit système fluviatile, qui n’est pas si petit que ça, mais surtout ils l'ont cartographié dans son intégralité, depuis la source jusqu'à la fin.
Ce qu'ils ont mis en évidence, sur la fin de l'épisode de la crise Messinienne, c'est un regain de l'activité fluviatile et ce qu'ils ont également montré, alors ça c’est une de leurs hypothèses, ils en ont deux, je vous montre celle-là, c’est que ces systèmes fluviatiles ne se jetaient pas dans une mer Méditerranée complètement asséchée à ce moment-là, mais dans une mer Méditerranée qui était très basse et qui consistait en ici, dans cette partie là, en un petit lac d'eau, pas marine, saumâtre, c'est-à-dire plus ou moins salée.
Alors ça on y reviendra, Laurent a peut-être un peu évoqué ce cas-là, et puis, Athina aussi reviendra là-dessus.
C’est l’épisode qu’on ne comprend par très bien qu’on appelle de [l’agro-mare ?] dans cette crise Messinienne.
Alors bien sûr, autre marqueur important de cette crise messinienne, outre la surface d’érosion : c’est les évaporites elles-mêmes.
Donc là je vais vous montrer quelques images, notamment comment est-ce qu'on voit ces évaporites dans le bassin profond et notamment ici en Méditerranée occidentale.
Donc toujours un profil sismique et ces évaporites, elles sont très très faciles à voir :
Voyez, c'est la couche complètement blanche dont le dessin sismique représente une couche transparente et ce dont on s'aperçoit très très vite, c’est que ces évaporites apparaissent complètement déformées. Les évaporites elles-mêmes, mais aussi le sédiment qui est au dessus.
Alors ça, c'est classique, on le sait : quand il y a des évaporites, notamment du sel, à ces profondeurs-là en fait, à ces températures et à ces pressions-là, le sel devient très très facile à déformer, il suffit qu’il soit un tout petit peu en pente et qu’il y ait une charge au-dessus de lui et il va se déformer, il va glisser, et bien sûr, en déformant toute la pile sédimentaire qu’il peut y avoir au-dessus de lui.
Alors cette déformation parfois est assez extraordinaire et elle peut aboutir à des dômes de sels comme ça qui sont tellement déformés qu’ils vont aboutir comme ça jusqu'au fond de la mer, et vont pouvoir s'exprimer sur le fond de la mer actuelle.
Ça, c'est pour montrer que cette crise messinienne, malgré qu’elle soit... on a l'impression que tout est archivé et caché sous le fond. En fait elle a un impact encore maintenant jusqu'à aujourd'hui sur la morphologie du fond de la mer Méditerranée.
Si on regarde ce qui se passe toujours en Méditerranée orientale pour cet enregistrement des évaporites dans le bassin profond : On a atteint ici des épaisseurs qui sont assez hallucinantes puisque dans cette zone là de la Méditerranée, on a des évaporites qui atteignent plus de 1500 m d'épaisseur.
Alors attention, on n'a pas déposé 1500 m d’évaporites à cet endroit-là. D'abord parce que petit 1, il n’y a pas que des évaporites, il y a des choses un peu sombres, comme ça, c’est sûrement aussi des sédiments un peu détritiques, des sédiments apportés par les fleuves.
Et puis surtout, dans cette zone, l'épaisseur de cette gamme-là elle est atteinte parce que, justement, le sédiment a été déformé, notamment parce qu'il y a tous les sédiments du delta du Nil qui viennent appuyer, qui viennent pousser et déformer ce sel.
Alors maintenant vous comprenez un peu mieux comment est ce qu'on obtient ce genre de carte là, où l'on présente partout, où les zones où il y a du sel dans les bassins profonds.
Ici en vert ou en jaune et puis également, sur ces cartes-là, ce qu'on voit très bien où est-ce qu'on avait des surfaces d'érosion messiniennes dans le golfe du Lion, dans le delta du Nil, mais aussi dans [...?] et ailleurs.
Donc je vais passer la parole à Athina, puisqu'elle va nous montrer un petit peu quels marqueurs est-ce qu’on trouve dans les bassins perchés, à terre, et notamment ici en Italie et en Sicile.