Qu'est-ce que l'Anthropocène ? - Partie 2/2 - Le Point de Vocabulaire #002
Aujourd'hui, petit point de vocabulaire sur l'Anthropocène, deuxième partie.
Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue !
Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous partager la deuxième partie du point de vocabulaire sur l'Anthropocène.
J'espère que vous comprendrez mieux les tenants et les aboutissants de la polémique sur le sujet et que, peut-être, vous y trouverez de quoi construire votre propre opinion.
Passez une belle journée et à très vite !
Script de la vidéo
Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue pour cette nouvelle vidéo de Terres du Passé !
Aujourd'hui, nous allons parler ensemble d'un terme relativement nouveau : l'Anthropocène.
L'Anthropocène est une nouvelle période géologique de la Terre dont le commencement reste encore débattu dans la communauté scientifique internationale. Cette période est celle à partir de laquelle l'influence des activités humaines a été telle qu'elle en a imprimé sa marque dans les archives géologiques.
Mais quand a-t-elle véritablement commencé ?
50, 150, 5 000 ans dans notre passé ?
Et pourquoi ?
Qu'aurait-on pu faire, il y a 5 000 ans, pour marquer notre Terre ?
Des questions auxquelles les scientifiques ont tenté d'apporter des éléments de réponses et que je vais tâcher de vous retranscrire.
I. Les changements globaux passés ne peuvent se voir que dans l'atmosphère
La Terre est composée de trois enveloppes distinctes :
- Une enveloppe solide, la croûte, dont la croûte continentale constitue les parties émergées. C'est l'enveloppe sur laquelle nous vivons.
- Deux enveloppes fluides :
- L'eau, dont les océans recouvrent environ 70,8% de la surface de la Terre,
- et l'atmosphère, entourant totalement notre planète.
Bien qu'étudier ces trois enveloppes soit particulièrement riche d'informations pour retracer l'histoire de la Terre et de ses climats, l'analyse des changements globaux ne peut facilement se faire que par l'étude de l'atmosphère.
En effet, elle entoure notre Terre sans obstacle majeur et les vents la mélange rapidement. Ainsi, toute variation durable dans la composition atmosphérique se répartit rapidement (en quelques jours à quelques mois) tout autour de la Terre, jouant de façon globale sur le climat.
Et vous savez quoi ?
Il existe une méthode rapide et directe pour analyser les atmosphères passées : les carottes de glace ! Les bulles d'air piégées dans la glace des calottes polaires nous permettent de faire des mesures directes des atmosphères passées. J'ai fait une vidéo sur le sujet il y a peu que je vous conseille d'aller voir si ce n'est pas déjà fait.
II. Quel gaz regarder pour identifier un changement global dû à l'humain ?
II. A. Le CO2
Un premier gaz dont on sait que les humains l'émettent en grande quantité est le CO2. On peut donc déjà se pencher sur ce gaz à effet de serre.
Ici, je vous présente un graphique de la NOAA montrant l'évolution du CO2 depuis 1957 à Mauna Loa, à Hawaii, année où les premières stations de mesures ont été implantées un peu partout dans le monde.
Vous voyez deux courbes sur ce graphique : l'une rouge, présentant des vaguelettes, et l'autre noire, traçant la tendance générale de la courbe rouge. Les vaguelettes sont en fait la variabilité naturelle, saisonnière, de la concentration en CO2. Durant les blooms phytoplanctoniques printanniers, c'est-à-dire lorsque le plancton végétal prolifère au printemps, la photosynthèse domine et le taux de CO2 atmosphérique diminue.
À l'inverse, durant l'hiver, la respiration domine : elle produit du CO2 dont le taux atmosphérique augmente. Alors, il est vrai que les deux hémisphères ayant des saisons opposées, lorsque nous sommes au printemps dans l'hémisphère nord, c'est l'automne dans l'hémisphère sud. Le bloom printanier de l'hémisphère nord devrait donc compenser la respiration de l'hémisphère sud et inversement.
Sauf que si l'on prend une vue d'ensemble de la Terre, on se rend compte qu'il y a beaucoup plus de continents dans l'hémisphère nord et davantage d'océans dans l'hémisphère sud : les deux hémisphères ne peuvent pas se compenser, d'où le fait que nous observions cette courbe rouge, en vaguelettes.
La courbe noire, en revanche, montre une tendance constante à l'augmentation. Cette tendance globale, non saisonnière et non dépendante des cycles naturels, c'est l'influence anthropique.
Très bien, alors si les données enregistrées depuis 1957, soit depuis 65 ans, montrent clairement l'influence anthropique, place-t-on pour autant le début de l'Anthropocène à cette date ?
Non, car en fait, il faudrait savoir quand cette tendance à l'augmentation a débuté. Et puis, sans davantage de recul, comment savoir que cette augmentation n'est pas le fruit d'un cycle naturel à plus grande échelle que le simple cycle saisonnier ? Il nous faut prendre du recul et donc aller chercher les carottes de glace.
Regardons 1 000 ans en arrière, ce qui nous ramène au Moyen Âge.
La courbe que vous voyez là montre clairement deux choses :
- La première, c'est que jusqu'aux années 1750, voire 1850, la tendance semble globalement stable autour de 280 ppm.
- La seconde, c'est que la tendance est totalement perdue après 1850 et montre une tendance exponentielle à l'augmentation jusqu'à aujourd'hui.
Cette augmentation exponentielle depuis au moins la deuxième moitié du 19e siècle atteste bel et bien de l'influence anthropique : on sort clairement des cycles naturels. Peut-on alors faire démarrer l'Anthropocène à cette date ? 1850 ? Après tout, c'est à ce moment-là que l'on a placé le début de la révolution industrielle, avec le développement des machines à vapeur et les grandes exploitations des mines de charbon.
Mais certains peuvent dire que 1 000 ans, ce n'est pas suffisant pour définir cette augmentation de CO2 depuis 1850 comme n'étant pas due à un cycle naturel encore plus long.
Le début de l'Holocène, la période chaude dans laquelle nous sommes actuellement, est placé à 11 000 ans dans le passé.
Là, la courbe perd toute tendance exponentielle pour ne montrer qu'un pic abrupt, totalement indépendant des cycles naturels des derniers 11 000 ans. Placer le début de l'Anthropocène à ce moment-là, vers 1850, semble donc vraiment pertinent.
Et afin d'être certain de notre fait, on peut prendre les données sur 100 000 ans ! 500 000 ans ! Ou même 800 000 ans !
Pour le moment, nous ne pouvons pas aller plus loin dans le temps, mais une mission actuellement en cours en Antarctique devrait nous permettre d'obtenir une courbe retraçant les taux de CO2 atmosphérique sur les derniers 1,5 millions d'années. Mais est-il vraiment nécessaire de remonter si loin dans le temps pour dire que ce pic encore jamais enregistré dans les archives climatiques est dû aux activités humaines ?
Je pense que non.
Les données de ce forage seront fascinantes pour bien des raisons que je détaillerai dans une autre vidéo, mais concernant le sujet qui nous intéresse, ce n'est qu'un marteau servant à enfoncer plus profondément un clou dont la tête a déjà disparu dans le bois tendre du doute.
Mais dans la première décennie des années 2000, un chercheur en particulier, Ruddiman, s'est demandé si un autre gaz que le CO2 ne pourrait pas nous donner des informations supplémentaires sur l'influence anthropique sur notre climat global. Il a donc décidé de se pencher sur un autre gaz à effet de serre : le méthane, CH4.
II.A. le méthane, CH4
Le méhtane est un des produits de l'activité bactérienne de dégradation de la matière organique.
En fait, c'est simplement de la matière vivante qui meurt et qui est ddégradée, détruite, consommée, mangée par les bactéries. Et donc ces bastéries produisent du CH4, du méthane, en consommant la matière organique. La fonte des glaces, par exemple, gorge le sol d'eau en même temps que se produit une hausse des températures : ces conditions favorisent l'activité bactérienne et donc la production de méthane.
Sachant cela, Ruddiman a eu l'idée de regarder le lien entre l'insolation de la Terre et la concentration en méthane de l'atmosphère sur les dernier 350 000 ans.
En noir, vous avez la courbe d'insolation, en vert, la courbe de méthane mesuré dans les carottes de glace. Bien que les deux courbes ne se suivent pas toujours parfaitement, un lien semble tout de même identifiable entre les deux paramètres. Et quelque chose en particulier a attiré l'attention de ce paléoclimatologue : l'Holocène, donc des derniers 11 000 ans.
Faisons un zoom sur cette partie de la courbe.
L'Holocène, c'est la fin de la déglaciation, nous en parlerons dans l'épisode 8 sur la théorie de l'âge de glace. Le creux que vous avez juste ici, totalement indépendant de la courbe d'insolation, c'est ce qu'on appelle le Younger Dryas, mais j'en parlerai également dans l'épisode 8 sur la théorie de l'âge de glace.
Le moment dont je souhaite vous parler aujourd'hui, c'est ce décrochage net avec la courbe d'insolation. Celui-ci, qui se produit à 5 000 ans dans notre passé.
Il y a 5 000 ans, toute la glace des calottes de la dernière période glaciaire a déjà fondu. Le niveau marin est à peu de choses près le même qu'à l'actuel et un équilibre des sols s'est déjà globalement établi. Alors pourquoi a-t-on cette soudaine augmentation de concentration en méthane dans l'atmosphère ?
Et si je vous disais que c'est à ce moment-là que commencent les cultures massives en Asie du Sud-Est et que, pour permettre cela, les peuples se mettent à inonder les plaines ? Qui dit inondation de sols, dit augmentation de l'activité bactérienne et donc augmentation de la production de méthane.
Zoomons encore un peu sur notre courbe.
Si l'on regarde bien, on peut observe un autre décrochage de la courbe. Je suis d'accord, il faut bien y voir, et pourtant il est bien là. Ce second décrochage, qui commence vers 2000 ans dans notre passé, correspond aux grandes entreprises de déforestation et de défrichage en Europe et en Inde afin de commencer, là aussi, des cultures massives.
Ajoutons que le bois coupé, mort, devient une source de nourriture pour les bactéries qui prolifèrent d'autant et produisent toujours plus de méthane.
Il y a bien des choses à dire sur tous ces petits ressauts de cette courbe, bien des choses à raconter en lien avec l'histoire humaine ! Mais je crois que pour cet épisode sur la définition de l'Anthropocène, nous sommes allés suffisamment loin.
Conclusions
Ruddiman a démontré que la courbe de méthane avait été influencée par les activités humaines dès 5000 ans dans notre passé. Pour lui, et pour de nombreux autres chercheurs, c'est à ce moment que doit commencer l'Anthropocène.
Pour d'autres, c'est à la révolution industrielle, il y a 170 ans, vers 1850.
Pour d'autres encore, ce n'est qu'au moment où nous avons commencé à enregistrer les données globales de notre Terre.
D'autres encore souhaitent faire commencer cette période aux premières disparitions animales clairement liées aux humains.
Les limites de l'échelle des temps géologiques ont été définies arbitrairement, généralement par les extinctions massives, comme la plus connue d'entre elles : la crise Crétacé-Tertiaire, marquée par la disparition des dinosaures et la prolifération progressive des mammifères.
L'Anthropocène a commencé. Nous sommes dedans. Ce n'est ni bien, ni mal.
C'est une période géologique qui sert à définir l'échelle du temps.
Et vous, qu'en pensez-vous ?
Remerciements
Merci d'avoir regardé cette vidéo jusqu'au bout.
Je tiens à remercier tout particulièrement le Docteur Bruno Malaizé, chercheur paléocéanographe travaillant au laboratoire EPOC et à l'université de Bordeaux, qui nous a dispensé le cours sur lequel je me suis basée pour réaliser cet épisode.
J'espère qu'il vous permettra de mieux comprendre ce qu'est l'Anthropocène et le débat qui l'entoure.
N'hésitez pas à liker la vidéo si elle vous a plu, à la commenter et à la partager. Et si vous ne voulez pas rater les prochaines vidéos, vous pouvez vous abonner à la chaîne et activer la petite cloche !
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Références bibliographiques
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Lüthi, D., M. Le Floch, B. Bereiter, T. Blunier, J.-M. Barnola, et al. 2008. High-resolution carbon dioxide concentration record 650,000-800,000 years before present. Nature 453: 379-382. doi:10.1038/nature06949.
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Dioxyde de carbone et changement climatique, climate.gov
L'augmentation du dioxyde de Carbone et le coronavirus, NOAA.
Pour aller plus loin
Projections sur les climats futurs, climate.gov
Concentrations en gaz à effet de serre, climate.gov
Changement climatique et dioxyde de carbone, climate.gov
Acidification de l'océan, NOAA.
Les aéroports du monde, climate.gov
Index des gaz à effet de serre, NOAA.
Budget d'émission de méthane en 2020, Climate & Clean Air Coalition.
Protoxyde d'azote, NOAA.
Méthane, NOAA.
Les chiffres clefs du climat en 2019, gouv.fr
Protoxyde d'azote à l'échelle globale, CNRS, INSU.