L'île de Pâques - Rapa Nui
Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue !
Dans ce chapitre un peu particulier, je vous propose de (re)découvrir une île qui a su fasciner le monde entier durant plusieurs décennies par les mystères de son histoire, de son évolution, et des peuples qui l'ont habité. Alors partons ensemble à la rencontre des Moaï, mais surtout, de l'évolution climatique et environnementale d'une île qui a connu l'abondance puis la désertification !
L'île de Pâques, où se trouve-t-elle ?
L'île de Pâques, appelée Rapa Nui par les Rapanui, un peuple polynésien, est une île volcanique chilienne perdue au milieu de l'océan Pacifique sud (27°09'S, 109°22'O). Dire que cette île est perdue est un doux euphémisme : il s'agit du lieu le plus isolé au monde ! La carte présentée ci-dessous vous permet de vous rendre compte de son éloignement : des milliers de kilomètres séparent Rapa Nui de toute autre terre habitée.
Cette île intraocéanique ne fait qu'un peu plus de 160 km² (entre 164 et 166 km² selon les sources (Vezzoli & Acocella, 2009 ; DiNapoli et al., 2019)) et se trouve sur la marge sud-est de la Polynésie orientale, à quelques 3 500 km de l'Amérique du Sud et près de 2 000 km de l'île habitée la plus proche (DiNapoli et al., 2019, 2020).
De nature volcanique, Rapa Nui est composée de trois boucliers volcaniques* principaux (*ou dit plus simplement, de trois volcans principaux) :
- Rano Kau.
- Maunga Terevaka, sommet de l'île culminant à 500 m à peine.
- Poike.
Il y a également de nombreux cônes* plus petits (*le terme de cône fait référence à la forme que prend un volcan) composés de cendres et de scories* répartis un peu partout sur l'île (*les scories sont des petits morceaux de lave légers et plein de bulles de gaz ayant refroidit rapidement) (Paskoff, 1978). Sa faible altitude (à peine 500 m au maximum) explique l'absence de vallées profondes, pourtant caractéristiques des autres îles volcaniques du Pacifique (Paskoff, 1978 ; DiNapoli et al., 2019).
Origines volcaniques de Rapa Nui
L'île de Pâques se trouve environ 350 km à l'est de la dorsale médio-océanique est-Pacifique, sur la plaque tectonique Nazca. Lorsque l'on trouve une île au coeur d'un océan, en règle général, elle est le résultat d'une remontée magmatique depuis les profondeurs du manteau terrestre jusqu'à la surface. C'est ce qu'on appelle du volcanisme de point chaud.
Rapa Nui est la plus grande partie émergée de la chaîne des monts sous-marins de Pâques, une alignement de volcans sous-marins orientés est-ouest qui représentent le chemin du point chaud de Pâques et qui s'étend à l'est de la dorsale est-Pacifique sur 2 500 km environ (Vezzoli et Acocella, 2009).
Cartes positionnant précisément l'île de Pâques (Rapa Nui) sur Terre. (A) La carte A présente une vue globale de l'océan Pacifique Sud, centrée sur la chaîne de monts sous-marins de Pâques et la ride de Nazca, à proximité de l'Amérique du Sud. On y voit que la chaîne de Pâques est proche de la ride est-Pacifique séparant la plaque Nazca de la plaque Pacifique. (B) La carte B est un zoom sur la zone de chaîne de monts sous-marins de Pâques et la ride Nazca. On y voit que l'île de Pâques se trouve à proximité de la limite de plaque. (C) La carte C est un zoom sur la zone proximale de l'île de Pâques, avec les volcans sous-marins Pukao et Moai situés au nord-ouest de l'île. Ces deux volcans sont issus du même panache mantellique : le panache de Pâques (Easter plume). Enfin, la carte D présente un zoom sur l'île de Pâques et sur les trois volcans majeurs qui la composent. (Données NOAA National Centers for Environmental Information et Google Earth Pro, projection WGS 1984, interprétations géologiques Vezzoli & Acocella, 2009).
Il est fascinant de noter que la vitesse relative entre les plaques tectoniques Nazca et Pacifique est de l'ordre de 130 mm/an (DeMets et al., 2010), soit une des vitesses de plaques les plus grandes jamais enregistrées ! Généralement, la vitesse de déplacement relative entre deux plaques est comprise entre 2 et 10 mm/an (DeMets et al., 2010).
Trois volcans basaltiques centraux, Rano Kau, Terevaka et Poike, ont donc bâti l'île de Pâques au cours des derniers 780 000 ans. Les derniers signes d'activité volcaniques sont datés de 11 000 ans par la coulée de lave de Roiho. Les produits éruptifs sont majoritairements effusifs, à l'inverse d'explosifs, ce qui implique des écoulements de laves fluides plutôt que des explosions de laves fragmentées riches en gaz. Petite note pour les géologuqes : de fait, les basaltes retrouvés sur l'île sont essentiellement tholéiitiques (Baker et al., 1974 ; Haase et al., 1997). À proximité de l'île de Pâques, il existe plusieurs volcans sous-marins relativement jeunes, datés de 60 000 à 20 000 ans avant aujourd'hui (O'Connor et al., 1995 ; Haase et al., 1997).
Il est intéressant de noter que la croûte océanique entourant les volcans sous-marins du point chaud de Pâques, volcans étant généralement datés de 780 000 ans et moins, est daté entre 2 et 4 millions d'années avant aujourd'hui. Cet élément peut sembler anodin mais il a son importance : le fait que la croûte océanique soit plus ancienne que les volcans qui la recoupent est un témoin clé démontrant que ces volcans sont issus d'un point chaud intraplaque et non pas le fruit de l'ouverture océanique entre deux plaques tectoniques (Vezzoli et Acocella, 2009).
L'âge de la croûte et des volcans augmente progressivement en allant vers l'est. Ce point particulier vient étayer la théorie selon laquelle la plaque Nazca se déplace au-dessus du point chaud de Pâques, ce qui a induit la formation progressive de la chaîne de montagnes volcaniques sous-marines de Pâques. La position actuelle du point chaud de Pâques est débattue depuis longtemps, mais il semble qu'il se situe immédiatement à l'ouest de l'île de Pâques (e.g. Vezzoli et Acocella, 2009).
Géologie de l'île de Pâques
La morphologie de l'île est conditionnée par les volcans responsables de sa formation, mais aussi par les processus d'érosion en cours sur l'île. Ainsi, les volcans Poike et Rano Kau présentent une forte érosion dans toute la partie extérieure, donc tournée vers la mer, de leur corps. Les vagues, le vents et les embruns jouent un rôle majeur dans l'érosion et la morphologie de l'île dans ces zones. En revanche, toute la partie intérieure de l'île est relativement peu érodée, ce qui permet d'y observer des structures volcaniques bien préservées (Vezzoli & Acocella, 2009).
Il est intéressant de noter que, sur les trois volcans majeurs de l'île, seul Rano Kau montre un sommet en forme de caldeira.
Au total, c'est un peu plus d'une centaines de cônes volcaniques qui ont été identifiés sur Rapa Nui, dont la majorité correspond à de petits cônes de cendres et d'éboulis de tuffs. Ces petits cônes ont une orientations globalement NNE-SSO, NE-SO et ONO-ESE (Vezzoli & Acocella, 2009).
Le volcan Rano Kau
La partie visible de Rano Kau, celle qui émerge au-dessus du niveau de la mer, s'est formée entre 780 000 et 460 000 ans avant aujourd'hui et recouvre une surface d'environ 10,8 km² (à l'affleurement, car en profondeur, sa surface volcanique est estimée à un peu plus de 50 km²) (Vezzoli & Acocella, 2009). Toutefois, Rano Kau a été actif jusqu'à 110 000 ans avant aujourd'hui, même si cette dernière phase d'activité, comprise entre 240 000 ans et 110 000 ans avant aujourd'hui, se caractérise par la formation de petites cavités en formes de tunnels et par des intrusions basaltiques dans une fissure éruptive recoupant le volcan (Vezzoli & Acocella, 2009).
Ce volcan - situé dans partie sud-ouest de l'île, atteint donc une altitude de 300 m au-dessus du niveau de la mer. Il représente environ 250 m d'épaisseur de coulées de lave, avec une pente générale comprise entre 7 et 10°.
Ce qui ne manque pas de marquer le regard lorsqu'on prend un peu de hauteur, c'est la belle caldeira circulaire tronquant le sommet du Rano Kau. Elle fait environ 1,6 km de large pour 200 m de profondeur (Vezzoli & Acocella, 2009).
Le volcan Poike
Contrairement à ce que suggère la surface affleurante de Poike, environ 15 km², soit environ 5 km² de plus que Rano Kau dont seulement 10,8 km² sont visibles, la structure volcanique complète de ce volcan est plus petite que celle de son voisin : le cône complet de Poike avoisine 28 km² (contre 50 km² pour Rano Kau) (Vezzoli & Acocella, 2009).
Ce volcan se situe dans la partie orientale de l'île et donne directement sur la mer par des falaises hautes d'une centaine de mètres environ.
Les laves ont donné un âge compris entre 780 000 ans et 410 000 ans pour la formation du Poike et le sommet de son cône atteint environ 367 m au-dessus du niveau de la mer (Vezzoli & Acocella, 2009).
Le sommet de Poike s'appelle Puakatiki et surplombe l'édifice global de Poike. Le cratère y est circulaire, d'environ 175 m de diamètre pour quelques mètres de profondeur à peine. En réalité, les données géologiques indiquent que Poike a connu une première période volcanique durant laquelle l'édifice principal s'est construit. Puis une éruption explosive aurait entraîné la formation d'une caldeira qui aurait été partiellement comblée par le cône de lave de Puakatiki (Vezzoli & Acocella, 2009).
Le climat et l'environnement de l'île
Rapa Nui se trouve sous des latitudes sub-tropicales, lui conférant un climat marqué par les saisons et venteux. Les précipitations qui se produisent sur l'île sont irrégulières, faibles et imprévisibles : elles varient entre 600 mm/an et 2000 mm/an (Louwagie et al., 2006 ; Stevenson et al., 2015). À titre de comparaison, en Espagne, il pleut en moyenne un peu plus de 600 mm/an et au Vénézuela, il pleut environ 2000 mm/an (source : Banque Mondiale de Données).
La figure ci-dessus permet de visualiser ce que représente la variabilité énorme de précipitations que connaît l'île de Pâques, Rapa Nui. (Le trait est volontairement exagéré sur les images du Vénézuela et de l'Espagne : ce sont des précipitations moyennes à l'échelle des pays, certaines zones du Vénézuela sont donc moins arrosées, moins vertes que sur la photo qui sert d'illustration, et de même pour l'Espagne, la photo représente le désert des Bardenas, un endroit particulièrement aride en été. Toute l'Espagne n'est pas aussi jaune et aride à longueur d'année ! ^_^)
Les études paléoécologiques montrent qu'il existait sur l'île de large forêts de palmiers (Horrocks et al., 2017 ; Hunt, 2007 ; Hunt & Lipo, 2007 ; Hunt & Lipo, 2009). Malgré tout, en comparaison avec les autres îles polynésiennes, le sol de Rapa Nui est excessivement drainé, lessivé, et ne contient donc que bien peu de nutriments (Louwagie et al., 2006 ; Ladefoged et al., 2010 ; Vitousek et al., 2014).
Pour autant, des lacs d'eau douce se sont formés dans les cratères volcaniques, sans toutefois être associés à des sources d'eau profonde. Cela s'explique par la nature très perméable du sol volcanique : l'eau douce est drainée jusqu'à l'océan et n'est pas conservée dans le sol (DiNapoli et al., 2019). Un autre désavantage de l'île est sa nature profonde : elle s'élève de façon abrupte depuis les abysses et n'est entourée d'aucune barrière coralienne susceptible de former un lagon. Cette caractéristique, atypique pour une île volcanique du Pacifique, impacte la diversité et l'abondance de sources de nourriture côtières (Friedlander et al., 2013).
Autant d'éléments qui font de Rapa Nui un environnement rude et difficile dans lequel trouver des ressources alimentaires est particulièrement compliqué.
Premiers peuplements de l'île et leurs impacts sur l'environnement
Les premiers hommes qui touchent terre sur l'île sont des polynésiens. Ces hommes et ces femmes ont alors parcouru des milliers de kilomètres dans l'océan Pacifique avec, pour toute protection, des bateaux de bois. Ils accostent pour la première fois environ au 13e siècle après J.C. (e.g. DiNapoli et al., 2020 ; Hunt, 2007) et découvrent alors un véritable coin de paradis : le climat est chaud et humide, l'îlot volcanique est entièrement recouvert d'une dense forêt de palmiers, riche et abondante, et de nombreuses sources d'eau douce apportent leur fraîcheur et leurs bienfaits sur la côte (e.g. DiNapoli et al., 2019, 2020).
Toutefois, les Rapanui, ces premiers polynésiens s'étant établis sur l'île, se rendent rapidement compte qu'en réalité, les conditions de vie ne sont pas aussi idylliques qu'il leur avait semblé de prime abord. Pour un groupe d'humains ayant erré durant des semaines, probablement des mois, sur un océan immense et dangereux, la vue d'une terre ferme est un soulagement. Car, même en emportant des réserves d'aliments sains et riches en vitamines, après plusieurs semaines à plusieurs mois d'une alimentation faiblement diversifiée, des carences finissent par apparaître. Arriver sur une terre couverte par une forêt est donc un soulagement : là où il y a des arbres, il y a de l'eau, des animaux, des ressources.
Mais l'île, petite, est volcanique : son sol est pauvre. Les sources d'eau sont nombreuses sur la côte, mais elles correspondent plus à des suintements à travers le sol poreux qu'à des rivières riches et abondantes. Les précipitations sont erratiques, généralement faibles, et surtout, imprévisibles. Aucune barrière de corails étendue ne ceinture l'île, ce qui limite la quantité de poissons, mollusques et autres organismes marins dans les abords immédiats de Rapa Nui. Enfin, dans ce milieu insulaire, la diversité animale est faible, limitant les options de subsitance pour les nouveaux habitants de l'île (e.g. Hunt & Lipo, 2011, 2018 ; Louwagie et al., 2006).
Les Rapanui ont donc des conditions de vie difficile et, rapidement, ils commencent à bâtir des plateformes cérémonielles, les ahu, et érigent des statues anthropomorphiques (dont la forme rappelle la forme humaine) : les Moaï (Graves & Ladefoged, 1995 ; Hunt & Lipo, 2001). Outre le fait (de potentiellement permettre) d'entrer en contact avec les Dieux, ces statues ont probablement un rôle protecteur et dissuasif : leur taille immense les rend visibles de loin, elles indiquent clairement la présence d'un peuple sur l'île, un peuple qui défendra ses maigres ressources (e.g. Hunt & Lipo 2018).
Au cours de l'occupation humaine, l'île a perdu sa forêt sous l'action combinée du défrichage humain pour la culture et de l'invasion des rats du Pacifique (ou rats polynésiens (appelé kiore en maori, Rattus Exulans)) ayant accompagné les hommes dans leurs embarcations (probablement contre leur gré) (Horrocks et al., 2017 ; Hunt, 2007 ; Hunt & Lipo, 2007 ; Hunt & Lipo, 2009).
Toutes les difficultés que représente la vie pour un peuple humain sur l'île rend plus impressionnant encore la construction des structures monumentales mégalithiques des Rapanui et leur croissance durant plus de 500 ans. Non seulement le peuple Rapanui a vécu et perduré durant des siècles dans un environnement pauvre en ressources et limité en surface, mais en plus, ils ont produit près de 1 000 Moaï et 300 ahu !
Les monuments mégalithiques des Rapanui
Donner la chronologie de construction des ahu et des Moaï est quelque chose de difficile et bien que de nombreuses études aient déjà été menées, cette chronologie n'a pas encore pu être établie précisément. Toutefois, certains éléments ont pu être définis. Ainsi, il semble que les premiers ahu, ces premières grandes plateformes de pierre, aient été construites assez rapidement après l'arrivée des premiers polynésiens sur l'île, au 13e siècle. Puis leur construction s'est accélérée avec le temps (e.g. Hunt et la., 2006 ; DiNapoli et al., 2019).
Les ahu
Les ahu sont une forme dérivée d'une architecture rituelle qui se retrouve dans d'autres endroits de Polynésie de l'Est, mais la quantité d'ahu produits et l'importance de l'investissement des Rapanui est distinctif de ce peuple (Martinson-Wallin, 1994).
Les Moaï sont eux aussi distinctifs de ce peuple. Sur le millier de Moaï présents sur l'île, 400 se trouvent dans la carrière aux statues de Rano Raraku. Les autres, pesant chacun plusieurs tonnes, ont été transportés le long de routes dédiées et érigés sur les ahu (Cochrane, 2015). En plus de cela, de nombreux Moaï sont ornés de chapeaux faits en scories rouges : les pukao (Cochrane, 2015 ; Hixon et al., 2017, 2018 ; DiNapoli et al., 2019, 2020).
Il existe plusieurs types d'ahu sur l'île, présentant des formes et des structures différentes :
- Les ahu les plus anciens, datés d'avant le premier contact avec les européens, que nous appellerons pas la suite "la période de pré-contact", se composent d'ahu rectangulaire sur lesquels trônent les Moaï. C'est ce qu'on appelle les "image-ahu".
- Les ahu plus récents, post-contact (donc datant d'après la première rencontre avec les européens en 1722), peuvent arborer des formes pyramidales ou semi-pyramidales, triangulaires. On parle alors d'ahu po'e po'e et d'ahu avanga.
Les image-ahu étaient le point focale des communautés Rapanui pré-contact. La plupart des groupes se trouvaient répartis sur la côte, comme en attestent de nombreux restes domestiques, rarement à plus de 100 ou 200 m des ahu, vers l'intérieur des terres.
De nombreuses questions restent encore irrésolues concernant le rôle de ces mégalithes. Ils servaient très probablement pour les rituels mais la raison de leur disposition, majoritairement sur la côte, reste encore floue.
DiNapolo et al. (2019, 2020) ont réalisé des modèles numériques dans lesquels ils ont pris en compte la position des sources d'eau douce côtières (n'oublions pas que l'eau douce est rare sur l'île, rejoindre les lacs de cratères pour récupérer de l'eau ne peut se faire quotidiennement (les peuples vivent sur la côte) et seuls les suintements d'eau douce côtiers sont des sources fiables). Les résultats de leurs modèles semblent indiquer que les image-ahu se trouvent toujours à proximité d'une source d'eau douce.
Les hypothèses sur le rôle des ahu