El Niño - La Niña
Qu'est-ce que ENSO ?
Le phénomène couplé océan-atmosphère appelé ENSO pour El Niño Southern Oscillation (Oscillation Australe d'El Niño), se compose d'un épisode chaud, El Niño, suivi par un épisode plus froid, La Niña. Ce sont des phénomènes qui se produisent au niveau de la ceinture équatoriale de l'océan Pacifique.
D'un regard rapide, les épisodes ENSO se caractérisent par une phase El Niño de réchauffement de la surface de l'océan Pacifique équatorial, associée à une augmentation des précipitations dans les zones centrale et orientale de l'océan Pacifique équatorial, mais aussi à un affaiblissement des alizés et à une dominance des vents d'ouest appelés les westerlies. Ces conditions s'accompagnent de modifications dans la circulation océanique et atmosphérique affectant le climat global, les écosystèmes terrestre et marins, les pêcheries et les activités humaines (Timmerman et al., 2018 ; Delcroix et al., 2018).
Les phases La Niña, à l'inverse, induisent des températures de surface de la mer anormalement froides, un renforcement des alizés et très peu de précipitation dans ces mêmes régions.
L'alternance des périodes chaudes El Niño et des périodes froides La Niña représente la fluctuation annuelle la plus marquée du système climatique global. De fait, ENSO met en jeu des processus interagissant sur des échelles de temps allant de quelques semaines à plusieurs décennies.
La récurrence de El Niño dans le Pacifique équatorial est tous les 2 à 7 ans (NOAA, Delcroix et al., 2018) tandis que La Niña présente une fréquence un peu moindre.
La circulation atmosphérique autour de la Terre
Pour bien comprendre le fonctionnement du phénomène El Niño, il faut connaître la circulation atmosphérique moyenne autour de la Terre. Un chapitre complet a été spécialement réalisé sur la question, vous pouvez le trouver ici : Circulation atmosphérique actuelle. N'hésitez pas à aller découvrir ce chapitre pour le comprendre en détails.
La figure ci-dessous synthétise la partie équatoriale de la circulation atmosphérique centrée sur le Pacifique :
Sur cette figure schématique, les alizés, des vents d'est, dominent la circulation atmosphérique moyenne. De tels vents relativement constants dans une même direction vont directement impacter la circulation océanique et la météorologie régionale, mais également le climat global de la Terre. Toute modification dans leur intensité ou leur direction aura des répercussions globales.
Influence des alizés sur la surface du Pacifique équatorial
Commençons par décrire l'impact des alizés sur la surface de la mer dans l'océan Pacifique. Les alizés soufflent de façon globalement constante de l'est vers l'ouest.
Si vous prenez une tasse de café, de thé ou un bol de chocolat au lait et que vous soufflez dessus, pas forcément très fort mais assez longtemps, vous constaterez un creux à l'endroit où votre souffle arrive et un "gonflement" au-delà : le liquide s'accumule de l'autre côté de la tasse avant d'être repoussé de part et autre sur les bords.
Ce phénomène existe également dans les grands bassins océaniques. Lorsque les alizés soufflent régulièrement sur la surface du Pacifique, depuis l'est vers l'ouest, ils produisent un déplacement horizontal des masses d'eau de l'est vers l'ouest : c'est le transport d'Ekman.
Les alizés induisent alors un creusement dans l'est du Pacifique et une élévation du niveau de la mer dans l'ouest du Pacifique.
Ce niveau moyen est visible depuis l'espace : les satellites sont capables de mesurer ce creusement et cette élévation du Pacifique équatorial dus aux alizés.
Durant les épisodes El Niño, les vents dominants viennent de l'ouest, les westerlies, à tel point qu'ils bloquent les alizés et inversent ce phénomène : le vent dominant venant de l'ouest, le creusement se fait à l'ouest et l'élévation à l'est. Inversement, les épisodes La Niña renforcent les alizés et provoquent un creusement encore plus marqué du Pacifique de l'est.
La figure présentée ci-dessous, un enregistrement satellite de l'élévation du niveau de la mer durant les épisodes El Niño et la La Niña de 1997 et 1999, permet de visualiser ce phénomène :
Sur cette figure, les couleurs représentent l'élévation du niveau de la mer relevée par les satellites. Plus les couleurs sont chaudes (rouge et blanches), plus le niveau de la mer est élevé, plus elles sont froides, plus le niveau de la mer est bas. Les variations d'élévations se situent entre -100 et +100 mm (ou -10 et +10 cm). Durant les phases El Niño, le niveau de la mer est plus élévé à l'est du Pacifique qu'à l'ouest, durant les épisodes La Niña, cette tendance est inversée. Cette variation de niveau de la mer est associée à une variation de température de la surface.
Ces changements de vents durant le phénomène ENSO est lié à une oscillation est-ouest à grande échelle de la pression atmosphérique au sol : la fameuse Southern Oscillation (SO, ou oscillation australe) de l'ENSO (Delcroix et al., 2018).
Un indice existe pour cette oscillation, le SOI (Southern Oscillation Index), un indice atmosphérique qui permet de bien identifier les phases d'ENSO.
Ces changements à l'échelle d'un bassin océanique aussi immense que la Pacifique ont forcément une influence sur le climat global, même si les impacts s'amoindrissent à mesure que l'on s'éloigne du Pacifique équatorial. Les trois principales variables climatiques influencées par ENSO sont :
- la température de surface de la mer,
- les précipitations,
- le vent de surface.
Influence des alizés sur la circulation océanique du Pacifique équatorial
Les alizés convergent vers l'équateur ce qui induit la mise en place du transport d'Ekman et la divergence des masses d'eau au niveau de l'équateur :
La circulation de Walker
Fonctionnement d'El Niño
Pour comprendre l'impact d'ENSO, il faut connaître les conditions moyennes. Dans le Pacifique équatorial,
L'événement El Niño de 2015-2016 (le plus récent s'étant déroulé en 2023) s'est initié durant le printemps boréal par une série de vents d'ouests (les westerlies). Le forçage induit par ces forts vents d'ouest a induit un downwelling océanique des ondes de Kelvin (Kelvin waves), ce qui a réduit l'upwelling des eaux froides de subsurface dans la langue froide de l'est du Pacifique et a mené à un réchauffement du Pacifique central et de l'est (Timmerman et al., 2018).
Ces anomalies de température positives ont déplacé la convection atmosphérique depuis la Warm Pool du Pacifique de l'ouest vers le Pacifique central équatorial, ce qui a produit une réduction dans la tendance des vents équatoriaux, et qui a en retour intensifié le réchauffement de surface par la rétroaction positive de Bjerknes. La terminaison de l'événement de 2015-2016 a été associée à une émission lente de chaleur équatoriale dans les régions proches de l'équateur, produisant ainsi une rétroaction négative différée. L'événement a commencé à décliner au début de 2016 et la transition vers un faible La Niña s'est produite au milieu de l'année 2016 (Timmerman et al., 2018).
Bien que cette évolution soit globalement commune aux différents ENSO enregistrés au cours des 40 dernières années, deux événements ne se ressemblent pas. Cela s'explique par les rétroactions complexes qui existent entre l'océan et l'atmopshère, dont les conditions varient dans le temps et qui ne peuvent donner des résultats identiques en raison de variations marquées (Timmerman et al., 2018).
Durant une période El Niño, les alizés se trouvent ralenties, voire inhibées au profit des vents d'ouest, les westerlies. Durant La Niña, l'inverse se produit et les alizés sont renforcées. Cette différence d'influence du vent induit une différence de pression atmosphérique est-ouest au niveau du sol, la fameuse oscillation australe (Southern Oscillation) de l'ENSO (Delcroix et al., 2018).
Conséquences climatiques, environnementales et humaines des phases el Niño
Réchauffement de l'océan
Lorsqu'un épisode El Niño se produit, les eaux de surface de l'océan Pacifique oriental deviennent significativement plus chaudes que la normale. Cela perturbe les conditions océaniques et atmosphériques habituelles.
Changements climatiques
Le phénomène El Niño a un impact sur les régimes climatiques mondiaux. Il peut entraîner des sécheresses, des inondations, des tempêtes tropicales et des bouleversements météorologiques dans de nombreuses régions du monde. Les conséquences varient en fonction de la force et de la durée de l'épisode El Niño.
Conséquences sur les activités humaines
Effets sur l'agriculture :
Les conditions météorologiques inhabituelles associées à El Niño peuvent avoir des effets graves sur l'agriculture. Les sécheresses prolongées ou les inondations peuvent entraîner la diminution des récoltes et des pénuries alimentaires dans certaines régions.
Impact sur la pêche :
Les changements de température de l'océan affectent également les habitats marins, ce qui peut avoir un impact sur la pêche. Les stocks de poissons peuvent se déplacer vers d'autres zones en raison du changement de température de l'eau.
Répercussions économiques :
Les épisodes El Niño ont souvent des conséquences économiques significatives en raison des dommages causés aux infrastructures, de la perturbation des marchés alimentaires et de l'augmentation des coûts liés aux catastrophes naturelles.
Jargon d'ENSO
Il est nécessaire de faire un tour sur des termes un peu compliqués qui sont indispensables à la compréhension de ce phénomène atmosphérique et océanique.
Voici donc le petit glossaire d'ENSO :
Thermocline : limite physique marquant la séparation entre les eaux de surface, plutôt chaudes (aussi appelées épilimnion) et les eaux profondes, froides (aussi appelées hypolimnion).
Alizés : vents d'est soufflant à longueur d'année dans le Pacifique et l'Atlantique entre les latitudes 30°N et 30°S. Les alizés sont intensifiés durant les phases La Niña du phénomène ENSO.
Westerlies : vents d'ouest soufflant durant les phases El Niño dans le Pacifique équatorial. Ces vents, opposés aux alizés, peuvent être suffisant pour annihiler les alizés.
Downwelling : terme anglosaxon pour désigner une zone de plongée d'eau : dans le Pacifique équatorial, l'intensité des vents peut induire une accumulation d'eau dans une zone et provoquer un plongement de ces eaux vers les profondeurs de l'océan (d'autres mécanismes de plongement d'eau existent, notamment dans les zones polaires).
Upwelling : terme anglosaxon pour désigner une zone de remontée d'eau : les vents peuvent également jouer pour augmenter l'intensité de la remontée des eaux profondes vers la surface en "tirant" les masses d'eau de surface d'un côté.
Warm Pool : terme anglosaxon désignant une masse d'eau océanique particulièrement chaude. Les warm pool tropicales se trouvent essentiellement dans le Pacifique de l'ouest et dans l'est de l'océan Indien.
Rétroaction positive de Bjerknes : un réchauffement de l'est du Pacifique réduit le différenciel de température entre l'est et l'ouest, ce qui affaiblit les alizés, aplatit la thermocline, affaiblit l'upwelling, et induit donc un réchauffement de la zone est du Pacifique. C'est une boucle de rétroaction positive.
Transport d'Ekman : c'est le déplacement horizontal des couches d’eaux superficielles de l'océan par la seule action de la friction du vent à la surface. Le courant marin induit par le vent est dévié sur la droite dans l'hémisphère nord et sur la gauche dans l'hémisphère sud en raison de la force de Coriolis.