> Spécial Halloween 2023 - île Tromelin - Ep.02 - Le naufrage de l'Utile

Spécial Halloween 2023 - île Tromelin - Ep.02 - Le naufrage de l'Utile Spécial Halloween 2023 - île Tromelin - Ep.02 - Le naufrage de l'Utile

Niveau de difficulté : 1

Épisode 3

Bonjour à toutes et à tous et Bienvenue pour cette nouvelle vidéo spéciale Halloween de Terres du Passé !

L'histoire que nous allons voir dans ce second épisode sur l'île Tromelin est tirée de faits réels. Ces faits prennent place en 1761 et ont été relatés dans le livre de bord par les membres d'équipage du navire de la compagnie française des Indes orientales, l'Utile. Nous allons voir aujourd'hui ce qui est arrivé à ces hommes et ces femmes et de quelle manière ils ont pu survivre... ou non.

Générique

Cette petite île d'1 km², sans relief, sans cours d'eau, sans arbre en dehors de quelques arbustes rabougris, ne semble pas avoir de caractéristiques suffisamment remarquables pour faire parler d'elle. Et pourtant... Il y a bien des choses à raconter. Depuis sa découverte en 1722 et tout au long du XVIIIe siècle, ses coordonnées n'ont cessées d'être revues par les divers navigateurs qui relevèrent sa position lors de leurs voyages à travers l'océan Indien.

Cette position approximative et l'absence de relief la rendent presque invisible de nuit par temps calme. Or, autour de l'île se trouve un ensemble de récifs coralliens mortels pour tout navire qui oserait approcher d'un peu trop près. Seule une passe étroite, au nord de l'île, permet de la rejoindre sans briser la coque des navires. Et seulement par temps clair et calme.

En 1761, le gouverneur de l'île de France, future île Maurice, Antoine Marie Desforges-Boucher, interdit provisoirement la traite des Noirs suite à des tensions avec les Anglais. Pour autant, cela n'empêche pas Jean-Joseph de Laborde, un négociant esclavagiste, d'affréter un navire depuis Foulpointe à Madagascar, vers l'île Rodrigues afin de transporter cent cinquante-six esclaves malgaches, hommes, femmes et enfants et de les vendre.

L'Utile est au port. À bord, cent quarante-deux hommes d'équipage. Ce navire, venu de Bayonne pour apporter des vivres à l'île de France, s'est ensuite rendu à Madagascar pour y récupérer des marchandises qu'il devra rapporter à l'île de France. Le commandant, Jean de Lafargue, marin peu scrupuleux et cupide, accepte le contrat que lui propose Jean-Joseph de Laborde malgré l'interdiction du gouverneur. Mais ce choix implique un changement d'itinéraire : l'île Rodrigues se trouve sensiblement plus à l'est que l'île de France et pour arriver plus vite, le commandant décide, contre l'avis de son second, Barthélémy Castellan du Vernet, de naviguer de jour comme de nuit. De plus, de crainte d'être arrêté, ils navigueront hors des routes maritimes.

Les marins s'inquiètent de se perdre la nuit. Et justement. Dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, le commandant Jean de Lafargue ne sait plus où il se trouve. Depuis quatre jours déjà, ils naviguent au nord-est. Il faut absolument éviter de croiser les routes maritimes de la Compagnie des Indes, plus au sud. Mais ils doivent prendre garde : ils approchent d'une zone dangereuse. L'île de Sable est connue depuis près de quarante ans, mais aucun navigateur ne l'a positionné exactement au même endroit. Le commandant utilise deux cartes pour se guider, mais les informations qu'elles lui fournissent sont contradictoires.
Où faire route ? Quand prendre au sud ?

Jean de Lafargue pense qu'ils ont déjà dépassé la zone dangereuse de l'île de Sable et qu'ils doivent continuer leur route vers le nord-est durant encore quatre jours avant de bifurquer vers le sud-sud-est.
Son second, Barthélémy Castellan du Vernet, pense pour sa part qu'ils approchent dangereusement des hauts fonds de l'île de Sable. Les deux officiers se disputent mais le commandant, obstiné, ne change pas d'opinion : ils doivent continuer à suivre leur cap.

Le vent souffle en permanence et les vagues chahutent le navire. Devant eux, de l'écume. Les vagues se brisent dans un grondement de tonnerre, propulsant des gerbes d'eau et de mousse dans les airs. Il faut virer de bord ! Mais la mer prend l'Utile de travers et repousse le navire droit sur les récifs. Trop tard. Le ventre de l'Utile est déchiré sur les squelettes calcaires durs et tranchants des coraux peu profonds qui entourent l'île de Sable.

Jean de Lafargue enrage ! Ce n'est pas possible ! Il ne peut pas s'être trompé ! Lafargue, refuse l'évidence.

« Hissez la grand voile ! Virez de bord ! Il faut repartir ! Aller, tas de fénéants ! »

Le navire repose déjà sur sa quille, il ploit, se tord dans des gémissements de fin du monde.
Barthélémy Castellan du Vernet, premier lieutenant et second de Lafargue, essaye de raisonner son commandant, mais rien y fait. L'homme a perdu la raison. Castellan hurle alors ses ordres aux marins paniqués :

« Nous sommes trop lourds, il faut soulager le navire avant qu'il ne se brise totalement ! Couper les mâts ! Jetez les canons à la mer ! Allons, plus vite que ça, exécution ! »

Et joignant l'acte à la parole, Castellan défait les amarres du canon le plus proche de lui et le jette à la mer. Le second continue de crier ses ordres et les marins reprennent leurs esprits : agir leur fait du bien et l'ouvrage leur donne l'impression qu'ils pourront s'en sortir. Les mâts sont coupés, les canons sont envoyés par le fond, mais la houle déferle sur les récifs et sa violence finit par arracher le gouvernail. La structure et les ponts s'effondrent. L'Utile sombre sur les récifs peu profonds, perdu.

18 marins sur les 142 membres d'équipage périssent noyés. Les autres parviennent à rejoindre l'île toute proche.

Les esclaves, quant à eux, sont enfermés chaque nuit dans les cales du navire, les ouvertures fermées par des clous par crainte d'une révolte. 156 hommes, femmes et enfants sont pris au piège dans ce qui est en train de devenir un cercueil démesuré. Leur chance ? En se brisant, la coque de l'Utile leur ouvre la voie vers la liberté. Sur les 156 esclaves, 70 périssent noyés.

Ce sont donc 210 naufragés qui parvinrent à rejoindre l'île de Sable en cette terrible nuit du 31 juillet 1761.

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Nous voici à la fin de ce second épisode sur l'île Tromelin, qu'au moment des faits, nos chers naufragés appellent encore l'île de Sable.
Si le coeur vous en dit, demain, tandis que les ténèbres étendront tendrement leur sombre manteau de noirceur, vous connaîtrez l'histoire des survivants de l'Utile.

Merci d'avoir regardé cette vidéo jusqu'au bout, et joyeux Halloween !

Carte de l'INRAP présentant le fond bathymétrique de Tromelin, le Marion Dufresne et l'Utile, ainsi que la position de naufrage de l'Utile en 1761

Echelle chronologique des événements ayant mené au naufrage de l'Utile sur l'île de Sable (Tromelin)

Références Bibliographiques