Partie 02/10 - Laurent Londeix replace la chronologie de l'événement Messinien
Transcription de la vidéo
Donc, une fois cette découverte faite, l'on va se poser la question de ce que sont les évaporites.
C’est un terme général, ça été dit, pour les roches qui se forment par évaporation de l’eau de mer, d'une salure.
Pour visualiser un petit peu les choses, si on évapore 1 km d'eau de mer, vont se déposer d’abord des carbonates (calcaires, dolomies), du gypse (avec lequel on fait le plâtre), du sel et des sels ultimes de potassium et de magnésium.
Il va y avoir douze mètres de sels qui se forment, se déposent si on évapore un kilomètre d'eau de mer.
Première question : où trouve-t-on ces sels ?
Vous avez ici une carte de Méditerranée.
Ce que l'on constate, c'est que c'est essentiellement dans les grands fonds qu'on retrouve ces sels. On va parler de bassins profonds. Et les images sismiques, donc l’échographie de ces fonds, montrent des épaisseurs de sels qui peuvent aller en mer Tyrrhénienne de quelques centaines de mètres à pratiquement 2000 mètres d'épaisseur de sels dans le bassin Levantin, donc en Méditerranée orientale.
Ces sels, ça a été dit déjà tout à l'heure, on les connaissait également à terre et c'est là où ils sont le plus facile d'accès. On reviendra tout à l'heure sur ce que nous racontent ces sels qui sont visibles à terre.
Comment s'est passée cette crise ?
Elle s'est passée au Tertiaire, à une à la fin du Miocène. À une période géologique que l'on appelle le Messinien.
Et ce Messinien s'est déroulé entre 7,2 et 5,3 millions d'années.
Alors pour vous, ça va vous paraître loin, 5 millions ou 7 millions d'années.
Pour les géologues, c'est assez proche. Vous allez voir pourquoi.
Si on ramène l'histoire de la Terre à 1 an, l'étage Messinien, cet intervalle de temps, eh bien, il s'est produit le 31 décembre entre 11 h et 13 h.
Donc c'est ça qui nous fait dire que c'est très proche de nous.
Imaginez si on ramène l’histoire de la Terre à un an, ce dont on va vous parler s'est passé le 31 décembre, grosso modo vers 12 h.
Alors, le souci de la Méditerranée, c'est que c'est un bassin hydrique négatif. Ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que il y a plus d'eau qui s'évapore : on a quelque chose de l'ordre de 3600 kilomètres cubes par an d'eau qui s'évapore. Il y a plus d'eau qui s'évapore que d'eau qui arrive par les précipitations, autour de 1000 kilomètres cubes par an.
Par les rivières, il y a très peu de fleuves qui débouchent en Méditerranée et il y a un peu d'eau qui arrive des Dardanelles, de la mer Noire via les Dardanelles.
Donc ce bilan hydrique est négatif, c’est-à-dire qu'il y a plus d'eau qui part que d’eau qui arrive.
On a un déficit de 1800 kilomètres cubes par an, mais ce déficit est compensé par les eaux atlantiques qui viennent, qui rentrent en Méditerranée et qui viennent compenser ce déficit.
Alors on peut se poser la question : que se passerait-il si Gibraltar venait à se fermer ?
Eh bien ça, c'est une équation très simple, un calcul très simple : ça, c'est le volume d'eau de la Méditerranée.
Ça c'est le déficit hydrique. En 2000 ans, en 2055 ans, la Méditerranée serait asséchée. Et ça, c'est quelque chose qui s'est déjà produit, qui s'est produit justement au Messinien, qui s'est produit autour de 6 millions d'années.
On le sait par des petits rongeurs, des gerbilles qui sont des petits rongeurs que l'on retrouve avant la fermeture de Gibraltar, on les retrouve uniquement en Afrique du Nord. Et il y a un moment où on en retrouve jusque en Europe, ça veut dire qu'il y a eu un passage, que Gibraltar s'est fermé à un moment donné, permettant le passage de ces petites gerbilles sur le continent européen.
Alors, quelle est la chronologie de cet événement d'évaporation, de dépôts de sels ?
Pour ça, on va essayer de construire une séquence géologique de référence.
Le Messinien tire son nom de la ville de Messine, en Sicile, et c'est donc en Sicile qu'on va aller chercher cette coupe de référence avec des dépôts qui, à la base de la coupe, sont des dépôts de marnes marines, donc déposées dans un milieu marin. On va aller chercher les sédiments qui ce sont déposés par dessus ces marnes. On va trouver des roches riches en diatomées, des diatomites au-dessus des roches qui sont exploitées pour faire des filtres par exemple, ou du dentifrice à un certain moment, et on a ces calcaires dont nous parlera tout à l'heure Athina, parce qu'ils sont très particuliers. Ces calcaires que l'on appelle les calcaires de base. Pourquoi de base ? Parce que, à partir de ces calcaires, c'est là qu'on voit les évaporites qui se déposent avec du gypse et même du sel.
Le sel qu'on peut voir dans des grandes mines de sel qui sont en Sicile comme ici, la ville de Real Monte. Ça aussi, c'est quelque chose qui sera revu tout à l’heure. Et la fin de la séquence, on la trouve sur d'autres groupes Eraclea Minoa, ou le Capo Rosello, où encore on voit les derniers gypse et des calcaires marins francs qui marquent le retour de l'eau en Méditerranée, mais qui marquent aussi la période suivante qui est le Pliocène, qui fait suite au Miocène.
Pour avoir une chronologie de cette séquence qui fait à peu près 750 mètres d'épaisseur, pour avoir une chronologie la plus précise possible, on va utiliser des outils pour dater ces sédiments. On va utiliser les fossiles et on voit notamment les micro-organismes comme les foraminifères planctoniques ou les nanofossiles coccolithophoridés.
On va voir l'apparition ou l'extinction de certaines espèces qui sont des marqueurs chronologiques.
On va également utiliser comme outils très intéressant les inversions du champ magnétique qui s'enregistrent dans les sédiments, qui sont des phénomènes globaux qui sont synchrones à l'échelle du globe et qu’on sait dater. Donc, ça nous apporte des âges numériques, ces inversions magnétiques.
Donc, on connaît maintenant très précisément le début de l'étage Messinien, on a également une méthode que l'on utilise abondamment pour dater de façon numérique des coupes sédimentaires et des séquences sédimentaires qui est basée sur l'enregistrement du climat tel que contraint par des mouvements de l'axe de rotation de la Terre et des mouvements astronomiques de la Terre autour du Soleil. Ça forme des cycles.
Les géologues savent retrouver ces cycles. Et les astronomes savent calculer la rythmicité de ces cycles.
Ça nous permet d'avoir des âges numériques et de dater le début de la crise de salinité Messinienne très précisément à 5,971 millions d'années et la fin de la crise à 5,332 millions d'années.
Donc ça fait de cet épisode de dépôts de sels ce qu'on appelle un géant salifère : il y a des dépôts énormes, des volumes énormes de dépôts de sels. Et c'est le géant salifère le plus rapide que l'on connaisse. C'est le temps le plus court pendant lequel s'est formé un volume d’évaporites aussi important.
Et ce temps, ben c’est 640 000 ans.
C'est quelque chose de très court, vous l’avez compris, pour les géologues.
Quelque chose qui à moins de 20 millions d'années, c’est quelque chose de nouveau. Et c'est le cas ici.
Et dans cet intervalle de temps, ici, on n’a rien pour dater.
Il n'y a pas d'inversion magnétique. C'est le hasard, à l'échelle du globe, pas d’inversion magnétique qui nous permettrait d'avoir un jalon chronologique, là-dedans. Pas de fossiles stratigraphiques. Simplement des fossiles, il y en a, on en reparlera. Mais c'est des espèces qui tolèrent des salinités anormales.
Et ce manque de repères chronologiques pendant cet intervalle de temps fait que, ben, pour raconter une histoire, si on n'a pas un calendrier précis, ben chacun raconte son histoire comme il veut, et ça va donner des scénarios très polémiques.
Et ça, ça fait 50 ans que ça dure, où les scientifiques n'arrivent pas à s'accorder sur vraiment le déroulement des choses.
Alors, où est la controverse ?
Eh bien elle est sur le synchronisme ou non du début de la crise. Là, je vous ai proposé de présenter un âge très précis mais tout le monde n'est pas d'accord avec cet âge là. Est-ce que des dépôts profonds, dont on a parlé tout l'heure, les dépôts d’évaporites, de sels profonds, est-ce qu'ils se sont déposés en même temps que les sels qu'on retrouve à terre ?
Ça, c'est l'autre polémique. Et également, qui est lié : est-ce que le niveau de la mer Méditerranée est descendu de quelques centaines de mètres ou au contraire de plus de 1500 mètres, amenant la Méditerranée quasiment à l'assèchement ?
Donc ça va faire partie des polémiques.
Et vous avez ici cinq scénarios qui sont proposés. On va pas rentrer dans les détails.
La polémique vient du fait que des sels se sont déposés très près du littoral ou sur des bassins qui sont à quelques centaines de profondeur. Et on trouve également du sel dans les environnements profonds de la Méditerranée actuelle et pour certains vers les évaporites qui se forment au fond des bassins, elles arrivent après les évaporites que l’on retrouve à terre et pour d'autres elles sont synchrones.
Vous voyez des scénarios qui peuvent être très différents. On va voir maintenant les arguments. Quels sont les arguments des uns et des autres pour valider le fait qu'il y a une crise et pour essayer de savoir ce qui s'est passé.
Donc là, je vais passer la parole à Hervé Gillet qui va vous parler de la sismique réflexion comme outil.