> Partie 10/10 - Emmanuelle Ducassou présente en détails l'expédition IODP 401

Partie 10/10 - Emmanuelle Ducassou présente en détails l'expédition IODP 401 Partie 10/10 - Emmanuelle Ducassou présente en détails l'expédition IODP 401

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Transcription de la vidéo

Merci. Donc oui, vous avez plongé maintenant dans cette crise de salinité messinienne.
Vous avez vu qu’il restait des parts d'ombre, on n’est pas d’accord partout. La quantité d’évaporites, l’amplitude du niveau marin...
Une partie de ces questions est liée au fait qu'en fait, on ne sait pas très, très bien ce qui s'est passé au niveau des connexions.
On ne sait pas très bien comment étaient les bases en fait : est-ce que ça a été complètement fermé ? Un petit peu ? À certains moments ?

Donc c’est l’idée d’y retourner.
En fait, la plupart des forages ont été faits en Méditerranée. Et nous on va ici s'intéresser à cette zone justement autour des corridors de Gibraltar et essayer d'aller forer autour pour voir ce qu’il s'y est passé.

Alors, si on zoome un peu, voilà, les sites qui sont visés : donc deux sites en Atlantique, un site en Méditerranée et puis deux sites ici dans l'ancien corridor donc Rifien et Bétique.

Carte montrant les points de forage de l'expédition IODP 401

Alors si vous regardez bien, vous allez me dire : “alors oui, mais y’en a là, c'est la terre actuellement.” C'est vrai. Et du coup, il a fallu monter un projet qui couplait à la fois le programme IODP en mer et le programme ICDP à terre. C’est le premier programme de cette nature là.

Même souci, c’est-à-dire qu’il va coupler les deux. Ça va se faire sur plusieurs années.
Donc la première phase débute dans quelques jours, le 10 décembre, avec l’Expédition 401 ici : on va venir forer côté atlantique et côté méditerranéen. Et puis à partir de 2025, on commencera à aller forer le corridor bétique en Espagne et le corridor rifien ici au Maroc.

Alors pourquoi est-ce qu'on veut aller forer un détroit ? Vous avez compris qu’un détroit, c'est tout petit. Gibraltar, actuellement, fait 14 km de large.
Le seuil est à 300 mètres.
Par contre, c'est un endroit clé.

D'abord, ça va enregistrer de façon amplifiée les signaux climatiques. On l’a vu ici, donc ça c’est intéressant pour comprendre ce qu'il s’est passé. C’est aussi un endroit critique qui, par contre, ne peut pas être modélisé facilement, si on veut faire des modélisations climatiques par exemple.
Donc il faut aller chercher des données pour les implémenter dans ces modèles. Et puis ça a beau être petit, par contre ça a une incidence qui n'est pas anodine.

Si vous regardez ces cartes, ça ce sont les anomalies de température, ça les anomalies de salinité, alors c’est petit, mais ça c'est l’Atlantique Nord.

Carte montrant les anomalie de température et de salinité dans l'Atlantique depuis la zone du détroit de Gibraltar, modifié d'après Ivonovic et al., 2013

Vous voyez que ce petit passage actuellement montre qu’il y a une incidence très forte des températures et des salinités dans tout l'océan Atlantique.
Si on voit en coupe, vous voyez que ces eaux méditerranéennes viennent s'insérer dans tout l'Atlantique, ici.
Si on zoome un petit peu plus, là on a une coupe à travers Gibraltar. Ici, vous avez les salinités, ici, les températures. Ce qu’on voit, c’est que les eaux atlantiques rentrent en surface dans la Méditerranée et les eaux méditerranéennes vont remonter pour passer le passage de Gibraltar et vont aller s'écouler à leur profondeur d'équilibre dans l’Atlantique. Alors à une profondeur entre 300 mètres et 1400 mètres de profondeur. Et si on suit cette masse d'eau, alors, elle se mélange un peu aux entournures, mais globalement ça reste une sorte de courant qui va rentrer dans l'Atlantique. 

entrée d'eau méditerranéenne dans l'Atlantique par Gibraltar d'après Ivonovic et al., 2013

Si on la suit en grand, elle vient ici impacter l’Atlantique centrale. Et surtout on a une branche qui va remonter jusqu'aux hautes latitudes. Donc elle va aller apporter notamment ce sel aux hautes latitudes. Donc elle va aller densifier des eaux qui sont déjà denses parce que les températures sont froides et donc va aider au plongement des eaux et participer donc à la fabrication des courants profonds.

Donc en gros, s'intéresser à cette petite connexion, c’est s'intéresser au changement finalement océanographique et climatique du globe entier.

Et, c'est un petit peu l'idée de cette expédition, c'est justement aller voir l'impact global qu’a pu avoir cette crise.

Les objectifs de l'expédition IODP 401

Alors, très naturellement, le premier objectif de ce programme, le programme IMMAGE, ça va être l'impact climatique, mais global, de cette crise. On a vu régionalement que les impacts étaient absolument énormes, vous avez eu les démonstrations par les collègues.
Là, on veut voir ce que ça a donné, qu'est ce que ça promet pour la Terre entière ? Alors si vous regardez ces courbes-là, là on est à 12 millions d'années, on va vers l’actuel (vers la gauche). Vous avez ici les températures de surface des océans. Il y a plusieurs hémisphères, peu importe, ce qu’on voit c'est qu'on a une tendance à la diminution.
C’est-à-dire que depuis le Miocène, le climat n’a fait que se refroidir durant le Quaternaire.

Mais au moment de la crise, là, on a une chute importante de 5°C en moyenne, donc c’est assez énorme, qui se fait dans cette décroissance là. Et ça que ce soit dans l'hémisphère nord ou l’hémisphère sud. La courbe qui est en haut, elle nous montre, si vous voulez, un indice de glace, de glace quaternaire, et de la même façon, on voit que pendant la crise, c'est là où apparaissent les premières glaces, notamment arctiques, et en Amérique du Sud.

Donc on a un impact, il y a un lien entre cette crise et les grands changements climatiques globaux. Maintenant, à savoir comment les quantifier.

Le deuxième objectif, c'est d'avoir un enregistrement complet de la crise. Vous avez vu qu’il y a plein de scénarios, parce que, ben, on a des morceaux à différents endroits, on a des endroits où on n’a pas d'organismes, on n'a pas de marqueurs. On ne sait pas très, très bien traiter tout ça. Donc l’idée c’est d’aller à des endroits où on pense avoir des enregistrements plus continus, notamment côté Atlantique, pour avoir toute cette histoire du moment où la Méditerranée était une espèce de grande baie de l'Atlantique, la fermeture avec les corridors, peut être une fermeture totale ? Peut être pas.
Peut-être qu’il y a toujours eu quelques apports. Ça expliquerait pourquoi il y a eu tant de sels. Et puis une réouverture avec Gibraltar.

Alors, il faut savoir qu’en Atlantique, on avait des enregistrements avec la veine d’eau méditerranéenne, ce courant sortant là, ici, trouvé sur la marge ibérique et qui remonte. Si on regarde aussi un profil sismique, un coupe Nord-Sud ici, c’est ce qu’on a au sud de Faro, on remarque que le fond marin est affecté par ce courant qui passe.
Donc on a un grand chenal ici, qui est lié à l'érosion liée à ce courant. Et on a cette espèce d'immense dune de sable et de vase sur plusieurs kilomètres de long, sur un peu plus d’un kilomètre d'épaisseur, qui est l'enregistrement de ces variations de climat.

Alors ça c’est relativement récent, Quaternaire-Pliocène, et on a observé ces variations de courants à travers des dépôts qu'on appelle des contourites. Alors, c'est un peu subtil, mais on voit quand même des choses, avec des tailles de grains qui augmentent, et qui diminuent, en lien avec les variations d'intensité du courant. Donc ça c’est une expédition qui a eu lieu il y a une dizaine d'années à laquelle j’ai eu la chance de participer.

On espère retrouver ces choses-là pour trouver les traces de cet écoulement sortant.

contourite présente au débouché du détroit de Gibraltar, dans l'Atlantique, expédition IODP 339

À terre, si on regarde côté Maroc, ici, donc là vous avez un affleurement qui est un petit peu en amont dans le corridor ici, on a les dépôts. On sait qu'ils sont marins. Ils sont actuellement à l’affleurement. [On sait qu’ils sont marins] à cause des géométries, des structures qu’on a des dedans et des organismes qu’il y a dedans.
On a la même chose ici dans le corridor ici, côté espagnol, avec pareil, des affleurements qui montrent des dépôts marins du Tortonien, avant le début de la crise.

Donc les deux forages qu’on vise ici dans le projet IMMAGE, ici se situent plus côté Atlantique, où on estime qu'on risque avoir quelque chose de plus continu dans le temps pour raconter l'histoire de ces connexions.

Le dernier objectif, il est lié à la modélisation. Parce que ben on a vu que c'est une histoire de vannes qui s’ouvrent qui se ferment. Vous imaginez qu'après la remise en eau, la Méditerranée a pu se redéverser côté Atlantique, on a pu avoir des salinité sans doute très importantes, peut-être dix fois supérieures à ce qu'on connaît actuellement. C'est quelque chose qui n'existe pas actuellement sur Terre, qui n'a jamais été modélisé.

Donc ça, c'est quelque chose qu'on voudrait savoir, mesurer les salinités qui ont pu se déverser.
Et qu'est ce que ça pu avoir un impact ? Et comment a pu se déplacer cet espèce de panache hypersalin dans l'océan Atlantique à ce moment là ?

Le Joides Resolution pour l'expédition IODP 401

Alors pour faire ça, on embarque sur un navire qui s'appelle le Joides Resolution.
Il fait 143 mètres long. Il a un derrick de 62 mètres, alors il peut forer à plus de 8 000 mètres de profondeur.
On a à peu près une centaine de personnes à bord dont 28 scientifiques faire ce travail là. On travaille 24h/24, 7 jours/7, pendant 61 jours d'expédition, et selon des quarts de 12h.

Joides Resolution expédition IODP 401 - Emmanuelle Ducassou

C'est un bateau de forage. Donc ça veut dire que sous le derrick, il y a un trou. Il y a un trou dans la coque, c'est pas très commun. Donc vous avez le multitube ici qui descend, là-dedans, ici, vous êtes sur le pont de forage, donc juste au-dessus. Donc là vous voyez le tube, c’est là où le tube va avancer mètre par mètre.
C'est aussi là qu’on vient changer les trépans, c’est-à-dire les têtes de forage.
Vous avez ici les différentes têtes de forage en fonction de la dureté du sédiment :

Trépans, différentes têtes de forage du Joides Resolution.

Il faut bien en changer parce qu’en effet, c’est de la roche, littéralement, pour voir ce qu'on va récupérer là.

Le travail à bord est supervisé par deux co-chefs d’expédition, donc Rachel Flecker qui est professeur à l'université de Bristol, qui est celle qui a déposé le projet IMMAGE, et moi-même. Un manager de l'expédition, Trevor Williams, et puis on a deux chargées de communication qui vont être les deux personnes qui vont alimenter les réseaux sociaux, qui vont organiser également les visio, depuis le bord jusqu'ici.
Donc j’espère que je pourrais vous retrouver au mois de janvier si vous voulez suivre cette expédition-là.

Et puis on a cinq laboratoires de recherche, donc le premier composé de huit sédimentologues qui vont passer 61 jours à décrire des carottes sédimentaires.

L'idée, c'est de nous donner des indices sur le type de sédiments, dans quelles conditions ils se sont déposés : est-ce que c’était marin ? Est-ce que c’était continental ? Influencé par les courants ? Quand ?

On a une équipe de micropaléontologues qui va venir regarder des espèces différentes, regarder en fonction de leur apparition, de leur disparition ou de leur abondance, qui peuvent donner, proposer des âges à ces séries sédimentaires.

Et puis on a deux spécialistes du paléomagnétisme qui vont s'attacher aussi à enregistrer, à chercher en tout cas l'enregistrement dans les sédiments des variations du magnétisme de la Terre, également pour proposer des âges.

C'est le point critique : si on n’a pas des âges, l'histoire va être compliquée à raconter.

Et enfin, on a quatre géochimistes et quatre géophysiciens qui vont complémenter cette histoire en nous apportant des informations sur la caractéristique des sédiments, à savoir leur densité, leur magnétisme, la radioactivité naturelle.
Regarder également les eaux interstitielles et les salinités.

Tout ce type de choses qui va permettre de raconter une histoire déjà à bord.

Dans les faits, on part bientôt, le 10 décembre, on embarque à Amsterdam, on a cinq jours de transit jusqu'à la marge portugaise, où sont les premiers sites, ici. Cinq jours qui vont être bien occupés parce qu'il faut écrire les chapitres de méthode, il faut se roder sur les machines puisque quand les premiers sédiments arrivent, ben, faut que ça tourne.
Alors le plan c'est de faire d'abord des forages côté Atlantique, puis passer Gibraltar et faire les forages ici, côté Méditerranée. Il y a encore quinze jours, il y avait dix mètres de houle ici. Donc il faudra s'adapter.
Alors je pourrais revenir là-dessus, sur pourquoi on fore, pourquoi des puits. Tout ce qui nous intéresse par la suite.

Et puis je terminerai en disant que si vous voulez suivre cette expédition, c'est un peu le but aussi de lui avoir montré tout ça, eh bien n'hésitez pas, en tapant Expédition IODP 401, vous tomberez sur cette page-là :

§Joindre le Joides Resolution

Où dès qu’on sera à bord, dans quelques jours, vous aurez toutes les nouvelles, un petit peu, qui vont être données au fur et à mesure. Des contributeurs également IODP sur l'expédition. Celle du Joides Resolution, à mon avis c’est celle qui sera la plus alimentée par les médiateurs scientifiques dessus.

S'il y a certains enseignants dans la salle, ne pas hésiter à aller s'enregistrer si vous voulez faire des visio avec vos classes quand on sera à bord, allez vous inscrire. On peut faire ça et on peut visiter le navire, etc. Là-dessus, crois qu'il y a des étudiants dans la salle.

Je fais un petit clin d’oeil : Dans six mois, il y aura des échantillons ici et dans d'autres laboratoires. Donc les prochaines découvertes, ce seront peut-être les vôtres.

Je vous remercie pour votre attention.