> Géo & Astro > Synthèses d'articles et congrès > Soutenance de thèse MSL

Soutenance de thèse - 2021

Retour à la page des articles

EPOC logo SHOM Logo université de bordeaux

Contribution relative des forçages climatiques et des processus sédimentaires dans la répartition spatio-temporelle des sédiments des mers nordiques (mers de Norvège, du Groenland et de Barents)

Sous la direction de scientifique de Frédérique Eynaud, Sébastien Zaragosi, Élodie Marchès et Thierry Garlan

Soutenue par Marjolaine Sabine

Le 22 février 2021

Rapporteurs : Franck Bassinot, Christophe Colin et Jean-Carlos Montero-Serrano
Examinatrice/Examinateur : Emmanuelle Ducassou et Jérôme Bonnin
Directrice/Directeur de thèse : Frédérique Eynaud et Thierry Garlan 

 


Bonjour et Bienvenue à toutes et à tous !

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous présenter les principaux résultats de ma thèse effectuée au laboratoire EPOC, en collaboration avec le Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom). Mon sujet a porté sur les forçages climatiques et les processus sédimentaires ayant régi les mers nordiques au cours du dernier million d’années, ainsi que sur la répartition spatio-temporelle des sédiments dans ces mers.

 

 


Donc, dans un premier temps, je vais situer les mers nordiques dans leur contexte environnemental et sédimentaire tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Ensuite, j’aborderai rapidement les matériels et les méthodes employées pour ce travail de thèse. Puis, nous verrons l’élaboration de la stratigraphie, élément essentiel de base à toute analyse paléoenvironnementale et paléoclimatique.

Dans une quatrième partie, cœur de ce travail, nous aborderons la sédimentation enregistrée dans ces mers en fonction de l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires, au cours du dernier million d’années.

La cinquième partie sera une synthèse paléoclimatique et sédimentaire succincte des mers nordiques basée sur tout le travail présenté en amont.

Enfin, dans un dernier temps, j’aborderai les conclusions de ce travail de thèse et les perspectives potentielles pour la suite des recherches sur cette zone.


Bien, commençons par replacer les mers nordiques dans leur contexte.


Ces mers font la connexion entre l’océan Atlantique, au sud, et l’océan glacial arctique, au nord. Elles sont limitées par le Groenland, l’Islande, la Norvège, et l’archipel du Svalbard.

Les mers nordiques correspondent à un ensemble de quatre mers, la mer du Groenland, de Norvège, d'Islande et de Barents.

Trois passages profonds permettent les échanges entre ces mers et les océans Arctique et Atlantique : le détroit du Danemark, la ride Islande-Féroé-Shetland, et le détroit de Fram. Ce détroit est le seul passage profond permettant les échanges entre les eaux Arctique et les eaux Atlantiques.

Au centre de ces mers se trouve une petite île volcanique, appelée Jan Mayen, qui, tout comme l’Islande, trouve son origine dans une zone de fracture de la croûte continentale, à la jonction entre les plaques tectoniques Amérique, à l’ouest et eurasiatique, à l’est.


Ces mers sont notamment marquées par plusieurs rides médio-océaniques, partant de l’Islande, coupées au niveau de la zone de fracture de Jan Mayen, représentée ici en noir et jaune. Puis ces rides continuent leur course jusque dans le détroit de Fram, marqué par deux petites zones de fractures, et rejoignant la ride de Gakkel dans l’Arctique.


D’un point de vue structurel, une des caractéristiques majeures de ces mers tient au fait de la très grande extension du plateau continental de Barents comme vous pouvez le constater ici.

 


Trois bassins profonds majeurs vont nous intéresser dans ces mers : le bassin du Lofoten, au débouché de la plateforme continentale de Barents, le bassin du Groenland, et le bassin de Boreas, tous deux séparés par la ride de mer du Groenland, et recevant les sédiments issus de ce continent.


Sur le fond, trois structures sous-marines majeures influencent les courants marins : le plateau de Vøring, contre la plateforme norvégienne, le plateau islandais, à proximité du détroit de Danemark, et le plateau de Yermak, à l’entrée de l’océan glacial Arctique.


Tout ceci nous amène aux objectifs de ce travail.

Le premier objectif de ma thèse a été de construire un modèle sédimentaire du fonctionnement des mers nordiques. Il a également été question d’étudier les changements paléocéanographiques et sédimentaires au cours des alternances glaciaires/interglaciaires, afin d’améliorer les connaissances scientifiques dans les liens entre les processus sédimentaires et la dynamique de la cryosphère. Cela revient à se pencher sur les construction et débâcles de calottes, et sur la dynamique de la cryosphère océanique en lien avec les courants marins. Enfin, l’établissement d’une stratigraphie robuste par des proxies variés a été essentiel pour l’ensemble de l’étude.

Ces mers sont étudiées depuis longtemps, il y a donc déjà des connaissances générales sur leur fonctionnement. Avant de commencer à vous présenter nos outils, je vais donc d’abord vous faire une rapide synthèse des connaissances scientifiques actuelles pour cette zone.


Au cours des cinq dernières décennies (essentiellement), de grandes structures profondes ayant marqué les plateformes continentales ont été identifiées : les paleoice-streams. Ces structures marquent les zones d’écoulement des calottes sur les plateformes continentales, pouvant aller jusqu’au rebord de plateforme.


La figure que je vous présente ici permet de bien comprendre l’origine de ces structures bathymétriques.

Donc, lorsqu’une calotte continentale grossit suffisamment, elle atteint la côte et, si les conditions sont réunies (c’est-à-dire des précipitations neigeuses importantes et un climat suffisamment froid pour que la fonte estivale soit inférieure au grossissement hivernal), la calotte s’étend sur la mer.

La ligne d’ancrage est la limite à partir de laquelle cette langue de glace, appelée un ice-stream, va se mettre à flotter sur l’eau. La partie flottante est appelée un ice-shelf. Lorsque l’ice-shelf est trop loin de la calotte, il se brise sur lui-même et donne des icebergs. De même, lorsque la fonte commence, des fractures s’ouvrent et des débâcles d’icebergs se produisent.

La glace continentale prélève des sédiments à son socle. Les montagnes perdent des blocs rocheux qui viennent se déposer sur la surface de la glace, puis de la neige tombe par-dessus, s’accumule et donne des clastes à l’intérieur de la glace. Donc les icebergs contiennent des particules sédimentaires de toutes les tailles, de la gamme des argiles jusqu’aux blocs de plusieurs dizaines de centimètres. Lorsque les icebergs dérivent dans l’océan, l’action de température, des vagues et des courants les font fondre. Ils libèrent alors leurs clastes qui tombent dans la colonne d’eau et s’accumulent sur le fond. Ces clastes sont appelés des IRD pour ice rafted detritus.

Donc comme vous pouvez le voir sur la carte (voir la diapo précédente pour la voir en plus gros), de nombreux paleoice-stream sont identifiés dans ces mers. Ce qui ne se remarque pas vraiment ici, c’est que les ice-streams de la mer de Barents sont beaucoup plus développés et plus marqués que ceux de la plateforme du Groenland. Même si la calotte Groenlandaise est encore très grosse aujourd’hui, c’est bien du côté de la mer de Barents que se retrouvent les plus grands paleoice-streams et leurs éventails sédimentaires profonds associés, appelés des Trough Mouth Fan, représentés ici en marron.


D’autres structures sédimentaires ont été étudiées dans ces mers, notamment les chenaux profonds. Il est intéressant de noter que ces corps sédimentaires ne sont pas dominant dans la sédimentation de cette zone. Cette particularité s’explique par l’absence de grande rivière ou de grand fleuve se jetant dans les mers nordiques.


Des glissements ont également été étudiés et l’on remarque que, s’ils sont retrouvés sur la marge de Norvège, aucun n’a été identifié sur la marge du Groenland, ni dans toute la zone nord de ces mers. Cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas, mais simplement que cette question n’a pas été vraiment étudiée jusqu’à maintenant.


Cela nous amène à la question des courants océaniques.

Les mers nordiques sont connues pour être une zone clé de la circulation océanique, avec notamment des zones de convection profonde amenant à la formation d’eau de fond qui alimenteraient l’AMOC (l’Atlantic Meridional Overturning Circulation), la part Atlantique de la circulation thermohaline.

Lorsque l’on regarde cette circulation, deux courants majeurs dominent ces mers. D’abord, les courants chauds, issus de l’Atlantique. Ils sont identifiés sous le nom de Norwegian Atlantic Current et suivent plusieurs trajectoires dans la mer de Norvège jusqu’à se rejoindre dans le détroit de Fram. Ce courant relativement chaud et salé apporte de la chaleur et de l’humidité dans les mers nordiques et dans l’Arctique. D’ailleurs, sa présence permet de maintenir dans la partie est du détroit de Fram une zone dépourvue de glace de mer même en hiver.

Plusieurs courants de retour dans le détroit de Fram apportent dans la mer du Groenland de faibles quantités d’eau relativement chaude et salée.

Ensuite, venant de l’Arctique par la TransPolar Drift (TPD), un courant d’eau froide et moins salé coupe la plateforme continentale du Groenland, appelé le courant est-groenlandais (East-Greenland Current, ECG). Ce courant longe la plateforme jusque dans le détroit de Danemark. Plusieurs branches se séparent de ce courant au cours de son trajet vers le sud.

C’est justement par ce mélange entre les eaux froides et peu salées de l’Arctique et les eaux chaudes et salées de l’Atlantique que peuvent se former plusieurs masses d’eau importantes pour la circulation océanique globale, avec notamment la formation de la NADW (North Atlantique Deep Water).

   


Ce qui nous ramène à nos objectifs de recherche. Pour y répondre, un jeu de 31 carottes sédimentaires prélevées en 2014 et 2017 a été analysé, et 5 de ces carottes sont présentées ici.

Trois dans le sud des mers nordiques, au sud de la zone de fracture de Jan Mayen, et deux dans le nord de ces mers, dans le centre du détroit de Fram.


Plusieurs outils et méthodes ont été utilisés au cours de cette thèse.

 


Des photographies des carottes ont été prise peu de temps après l’ouverture afin d’obtenir une image de la couleur du sédiment avant que les processus d’oxydation ne soient intervenus.


Une imagerie rX a été réalisée sur chacune des carottes afin d’avoir une vision de la structure interne du sédiment, l’imagerie aux rayons X renvoyant un signal fonction de la densité du sédiment.


Des données XRF ont été acquises pour toutes les carottes, donnant la composition géochimique relative du sédiment avec un pas de 1 cm.


Suivant le même pas d’analyse, des mesures de spectrocolorimétrie ont été faites, notamment pour observer la luminance du sédiment, donc son intensité entre le noir et le blanc.

  


Toujours avec un pas de 1cm, la susceptibilité magnétique a également été mesurée pour toutes les carottes, à l’aide d’un capteur de surface du sédiment portatif.


Une analyse biostratigraphique a été menée sur le matériel supérieur à 125 µm, comprenant des comptages de foraminifères benthiques (sur le bulk) et de foraminifères planctoniques (suivant l’espèce). En plus, des frottis réalisés tous les 1 m environ ont été observés pour identifier les coccolithophoridés.


Tous les échantillonnages de biostratigraphie ont été retamisés à 400 µm et 1000 µm, et des comptages de grains détritiques grossiers ont été réalisés. Ces grains sont interprétés comme des débris transportés par la glace, donc des IRD (sauf dans certains faciès sédimentaires particuliers).


Des niveaux ont été prélevés et indurés pour obtenir des lames minces. Ces lames nous ont permis de regarder les microstructures sédimentaires et permettent une vision très fine du sédiment et de la fabrique sédimentaire.


Quelques dates carbone 14 ont été réalisées, mais qui se sont vite révélées peu utiles étant donné les modèles stratigraphiques établis.


Et des mesures isotopiques de l’oxygène ont également été faites, avec une résolution aussi fine que le permettaient les abondances de foraminifères. Ces données isotopiques ont été acquises sur les foraminifères benthiques et planctoniques dans le sud des mers nordiques, mais uniquement sur les foraminifères planctoniques dans le nord en raison de la très faible quantité des benthiques.


Enfin, des mesures de tailles de grains ont été réalisées avec un pas maximal de 5 cm.


À partir de l’ensemble de ce jeu de données, une des premières choses à faire a été d’établir une stratigraphie robuste pour nos cinq carottes sédimentaires.


Là, je vous replace rapidement les carottes dans leur contexte environnemental, en fonction des courants, et c’est la carotte KC03, située juste sous la zone de fracture de Jan Mayen, qui a livré le meilleur jeu de données et qui va donc nous intéresser dans un premier temps.


Donc voici la corrélation qui a été établie entre les données du ð18O de notre carotte. Les mesures réalisées sur les foraminifères planctoniques sont en bleu et celles sur les benthiques en vert. La courbe de référence LR04, compilant un stack de données de ð18O benthiques pour le dernier million d’années, est mise en parallèle.

Tout en bas, vous avez les zones d’acmé à coccolithophoridés qui ont été identifiées pour la KC03. Comme vous pouvez le constater, la courbe verte des foraminifères benthiques est particulièrement éparse, ce qui ne permet pas vraiment de l’utiliser de façon robuste pour faire une échelle stratigraphique. En revanche, bien que les données de planctoniques ne soient pas parfaitement continues sur l’ensemble de la courbe, des tendances fortes sont identifiées, avec des valeurs plus faibles (plus légères) ressortant bien et qui se corrèlent plutôt bien avec la courbe LR04.

 


D’ailleurs, si on les superpose, on s’aperçoit que, même si les valeurs ne sont pas les mêmes, les amplitudes des pics sont comparables.

Vous avez à droite l’échelle de la LR04 et à gauche, l’échelle de la KC03. En dessous, vous avez l’échelle d’âge, établie par 41 points de corrélation (en jaune), et la courbe du taux de sédimentation correspondante se trouve encore en-dessous, en noir.

On constate que l’échelle d’âge est globalement linéaire, à part une marche au début du stade 11, représentée par un taux de sédimentation particulièrement élevé (à l’échelle de la carotte).


Car si vous regardez bien, le taux de sédimentation moyen se situe autour de 3 cm par millier d’années, et le stade 11 représente 19 cm par millier d’années. Ce sont des taux de sédimentation très faibles lorsqu’on les compare au reste des océans du monde. Mais, comme je l’ai dit dans la partie introductive, ce faible taux de sédimentation s’explique par l’absence de grands fleuves susceptibles d’être une source de sédiments.


Afin de valider cette stratigraphie, une comparaison avec une carotte de référence déjà datée s’impose. Vous voyez ici la position de la carotte en question, la PS1243, située à proximité de la KC03.


Ici, je vous présente quatre paramètres. Les courbes orange correspondent à la KC03, donc notre carotte, et les courbes noires aux références.

En haut, vous avez les stades isotopiques (qui sont étendus en grisé) et les terminaisons (en vert, qui correspondent à la fin des périodes glaciaires).

  • La première courbe en partant du haut correspond à un paramètre de spectrocolorimétrie, le a*. Ce paramètre marque les variations de couleur allant du rouge au vert, ce qui va être (entre autres) un indicateur du niveau d’oxydation du fer dans le sédiment.
  • En-dessous, vous avez la luminance, L*, marquant les variations de couleur du noir au blanc, qui va être un indicateur (entre autres également) de niveaux enrichis en microfossiles calcaires, et donc être plus clairs.
  • Et enfin, encore en-dessous, vous retrouvez la courbe de LR04, mise en parallèle avec la mesure de calcium de notre carotte.

On constate que les courbes de spectrocolorimétrie se superposent bien pour toute la période couverte par la carotte de référence, jusqu’à la fin du MIS 12, ce qui conforte notre stratigraphie.

Lorsque l’on se penche sur la corrélation entre la donnée de calcium de notre carotte et la donnée isotopique du LR04, on constate que, globalement, les pics de calcium se produisent durant les interglaciaires.

Comme je vous l’ai montré un peu plus tôt, il est difficile d’obtenir beaucoup de données isotopiques, en raison de la très faible quantité de microfossiles calcaires présents dans le sédiment. Notamment dans les zones les plus nord des mers nordiques, les données sont si éparses qu’il est presque impossible d’en tirer une courbe isotopique. L’utilisation d’un autre proxy, plus facile à obtenir, est donc nécessaire. Et justement, le proxy de calcium donné par les XRF semble tout indiqué pour répondre à notre besoin. C’est donc ce paramètre qui va nous servir à étendre notre stratigraphie aux autres carottes des mers nordiques.



Donc ici, je vous montre les données de calcium XRF des trois carottes de la zone sud. On y reconnait déjà facilement plusieurs pics. Pour chacune des carottes, vous avez l’information des zones d’acmés à coccolithophoridés, et les dix points de corrélations utilisés.

 


Lorsque l’on remet en âge et que l’on superpose ces trois carottes, alors, on obtient ceci. Donc sur cette échelle, vous avez en haut l’échelle d’âge, avec les périodes géomagnétiques de Brunhes et Matuyama, puis les stades isotopiques et les périodes climatiques identifiées sur Terre par les moraines glaciaires. Puis, vous retrouvez toujours la courbe de LR04 et en-dessous, les trois courbes de calcium superposées pour les trois carottes sud.

À première vue, la corrélation semble robuste.

 


Lorsque l’on applique le même procédé pour la zone nord, dans le détroit de Fram, on s’aperçoit que la corrélation est moins évidente.

 


14 points de corrélations sont nécessaires, et lorsque l’on superpose les courbes, on s’aperçoit que même si les corrélations sont moins propres, les variations se rejoignent assez bien.

 


Sur l’ensemble de cette stratigraphie, on peut dire les carottes enregistrent entre 1 millions d’années et 450 mille ans d’histoire sédimentaire et paléoclimatique.


Et justement, que nous dit cette histoire sédimentaire ? Quel type de sédimentation prédomine dans ces mers ?


Je vous présente ici une carotte complète pour que vous puissiez voir de quoi nous parlons. Rien qu’à l’œil, on voit des variations de couleur, de porosité, de granularité… et toutes ces variations vont marquer des changements dans les processus de dépôt. Par exemple, nous parlions tout à l’heure de variation de couleur du noir au blanc. Si on prend le cadre bleu, il entoure justement une partie de la carotte où le sédiment est très clair et donc très enrichi en carbonates.


L’idée est d’obtenir une image synthétique et rapide de la sédimentation enregistrée dans nos carottes. Une méthode rapide et visuelle d’avoir une première idée -justement- des processus en jeu est de regarder les courbes de fréquence granulométrique.


A partir de ces courbes, donc de la taille des grains, on peut supposer certains processus de dépôt.

Comme vous pouvez le constater ici, les courbes de fréquences sont multimodales, cela signifie qu’elles présentent plusieurs modes granulométriques et donc que les sédiments sont assez mal triés. En fonction de l’endroit de la carotte observé, forcément, le processus de dépôt ne sera pas le même pour une même gamme de taille de grains.

Par exemple, si on compare les niveaux 570 cm et 650 cm, les sédiments grossiers du premier vont correspondre à des microfossiles, alors que dans le second, ça va correspondre à des IRD. Malgré tout, nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’essayer de voir ce genre de chose mais en une seule courbe et pour l’ensemble de la carotte.


Le mode principal, pour chaque niveau, est défini de façon simplifiée comme étant le mode présentant la plus grande fréquence. Par exemple, ici, ce sont ceux qui sont entourés en orange. C’est en déterminant la fréquence de chaque mode principal dans chaque carotte pour toute la carotte qu’il est possible de réaliser une courbe de fréquence du mode principal.


À ça, on peut ajouter une petite représentation statistique du pourcentage moyen d’argile, de silt et de sable pour la carotte. Ça permet de voir que les argiles représentent plus de la moitié du signal et que les silts représentent un tier de ce dernier. Les sables ne sont pas donc pas majoritaires dans l’assemblage sédimentaire.

Cette représentation très simplifiée de la carotte permet d’avoir un premier regard sur les processus sédimentaires possibles responsables de cette répartition de taille des grains.


Et si on ajoute à cela un regard rapide, suivant le même procédé, sur la fréquence du second mode obtenu par les données microgranulométriques, on constate que, bien qu’ils ne représentent que 13% du signal, ce sont les sables qui prédominent.


En conséquence, à partir de ces trois graphiques synthétiques, on peut en déduire que le sud de Jan Mayen enregistre une sédimentation essentiellement argileuse et une influence assez faible des courants profonds, comme en atteste la faible composition silteuse. À cela s’ajoute un signal grossier, dans les sables très fins et les sables fin, interprété de trois façons essentiellement (en connaissance du contexte général de ces mers) : un signal d’IRD en premier lieu, un signal de microfossiles de grande taille en second lieu et un signal de courants sur le fond en troisième lieu.


Si on applique le même procédé dans le nord des mers nordiques, pour la KC15, on obtient ceci.

Comme vous le voyez, les argiles dominent également l’assemblage sédimentaire, suivi par les silts et enfin les sables. Si le graphique de la fréquence des modes principaux semble similaire à ce que nous avons vu pour la carotte de la zone sud, en revanche, la fréquence du second mode présente quelques différences.


Si l’on compare les deux sites, vous remarquez qu’effectivement, les fréquences des modes principaux se ressemblent. Ça peut être interprété comme indicateur d’une sédimentation globale homogène entre le nord et le sud des mers nordiques. En revanche, quand on compare la fréquence des modes secondaires, on s’aperçoit qu’il y a une différence marquée au niveau des argiles et des silts. Cela implique des processus différents en action dans la zone nord par rapport à la zone sud.

Pour mieux comprendre ces données, et pouvoir raconter l’histoire qui nous est contée par ces sédiments, il devient nécessaire d’aller plus avant et de descendre à l’échelle du faciès sédimentaire.



Reprenons l’image de notre carotte KC01, prise sous Jan Mayen.

Si vous regardez bien, il y a 5 cadres colorés sur la carotte. Ces 5 cadres correspondent à 4 faciès sédimentaires, 4 types de dépôts particuliers que je vais vous décrire maintenant. Un cinquième faciès est présent uniquement dans la zone nord des mers nordiques, et, en raison de son importance dans cette zone, il sera également présenté dans cette partie. Ce sont les 5 faciès les plus fréquents dans les carottes et qui permettent de reconstruire l’histoire de nos archives sédimentaires.

La nomenclature de chaque faciès suit celle décrite dans mon manuscrit de thèse, ils sont appelés faciès sédimentaire SF1, 2, 3, etc. Mais à des fins de meilleure lisibilité de l’histoire, ils ne seront pas présentés dans l’ordre de leurs numéros dans ce qui va suivre. Typiquement, nous allons commencer par le faciès sédimentaire SF4 (correspondant au cadre orangé/marron dans la diapositive ci-dessous).


Ici, vous avez huit éléments présentés en parallèle pour 1 mètre de sédiment de la carotte KC03, au sud de Jan Mayen. De gauche à droite, vous avez
une photographie du sédiment, avec, en blanc par-dessus, la mesure de susceptibilité magnétique. Ensuite vous avez l’imagerie aux rayons X, puis le D50. Ensuite, vous avez l’information géochimique du Ti/Ca, indicateur en première approximation de l’apport en matériel détritique terrigène et le Ca/somme, indicateur en première approximation de l’abondance de microfossiles calcaires. Puis viennent les courbes de fréquence granulométrique à côté du log lithologique.

Sur cette figure, le faciès sédimentaire SF4 est encadré en orange. Il se trouve de façon récurrente dans le sédiment, parfois enrichis en terrigène, parfois enrichi en biogène, parfois ni l’un ni l’autre. Ce faciès peut-être bioturbé, peut contenir des grains détritiques grossiers de tailles aléatoires flottant dans une matrice argileuse, en quantité variable, bien que jamais très riche.


Une lame mince a été prélevée dans ce faciès, sur une carotte du détroit de Fram, présentée ici.

Vous retrouvez, de gauche à droite, les courbes de fréquence granulométriques, présentant un sédiment assez mal trié, avec un pic dans les argiles, et un autre mode dans les silts grossiers ou les sables fins. La photographie nous permet de voir que des changements de couleur peuvent se produire dans ce faciès, mais jamais sur plus d’un ou deux centimètres. Sa couleur est dans les tons marron à gris. Le rX, la lame mince et le zoom x100 au microscope nous permettent de voir que les grains qui composent ce faciès flottent bien dans une matrice argileuse, avec une densité variable dans le sédiment et pouvant se retrouver sous forme de lits de clastes (clastes = débris).


Ce type de dépôt est interprété comme marquant des passages d’icebergs plus ou moins récurrents, avec davantage de grains grossiers, interprétés comme des IRD, dans la zone nord que dans la zone sud.


Ce type de dépôt est interprété comme le faciès sédimentaire boréal, typique des mers nordiques, se retrouvant dans tous les bassins, avec des conditions plus ou moins rudes pour la vie planctonique et benthique. Ce faciès se dépose aussi bien durant les périodes glaciaires que durant les périodes interglaciaires, et indique une dérive régulière d’icebergs avec des conditions d’eau ouverte régulières.


Ensuite, nous passons au faciès sédimentaire SF3.

Ce faciès est très particulier parce que, comme vous pouvez le remarquez ici, encadré en bleu-gris, les sédiments y ont une couleur très sombre. Sur ces niveaux, pouvant faire plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur, les données de susceptibilité magnétique y sont les plus faibles, très inférieures à 50, ce qui indique une source de sédiment essentiellement diamagnétique. Les données de calcium sont également faibles, ce qui atteste d’une très faible composante biogénique dans les sédiments, voire nulle. En revanche, les données de Ti/Ca montrent des valeurs élevées, ce qui appuie l’importance de la sédimentation terrigène dans ce faciès. À cela s’ajoute une forte concentration de grains détritiques grossiers, de toutes les tailles, formes, et émoussés.


Un zoom sur le faciès noir, donné par une lame mince, permet de constater que la base de ce niveau est nette et que les grains détritiques grossiers sont présents en grande quantité et flottent dans une matrice argileuse dense. Les bioturbations sont absentes de ce sédiment, tout comme les microfossiles calcaires.


Une autre version de ce faciès, un peu « allégée » en quelques sortes, est également présente : contrairement au niveau de sédiment très noir, ce faciès, ne représente jamais plus de quelques centimètres d’épaisseur. Néanmoins, les bioturbations et les microfossiles calcaires en sont également absents, et le sédiment y est dense et très riche en clastes de tailles variables flottant dans une matrice argileuse.

Contrairement à ce que l’on retrouve dans le SF4, le SF3 a toujours une base nette, une couleur de sédiment différente, plus sombre, et ne présente aucune trace de microfossiles ou de vie benthiques au cœur du faciès.


Les courbes de fréquence granulométrique permettent de constater que le sédiment y est mal trié. Tous ces éléments nous amènent à interpréter ce sédiment comme marquant un transport glaciaire dominant les mers nordiques.


Nous l’interprétons donc comme un diamicton profond.


Lorsque l’on replace se faciès sur notre échelle stratigraphique, on s’aperçoit que ce type de sédiment se retrouve essentiellement durant les périodes glaciaires et durant certaines déglaciations.

Le faciès SF3 noir se retrouve majoritairement durant les périodes glaciaires très intenses et durant les déglaciations leur étant associées. La récurrence des icebergs et l’assombrissement du sédiment attestent d’une réduction de l’oxygénation du fond, et donc de la circulation profonde.

Durant les périodes glaciaires les plus intenses, les calottes s’étendent loin de la côte, sur la plateforme continentale et rejoignent le rebord de plateforme. Un large couvert de glace de mer s'étend également sur tout le bassin nordique, réduisant très fortement les échanges entre l’océan et l’atmosphère. Le courant atlantique chaud remontant actuellement le long de la marge norvégienne et de Barents passe alors en subduction, donc sous la glace de mer, durant les périodes glaciaires. Ces conditions, particulièrement rudes, réduisent très fortement les zones de convection. Le centre des mers nordiques, loin des paleoice-streams, ne reçoit plus autant de sédiment par les courants, ce qui réduit très fortement les taux de sédimentation, allant jusqu’à quasiment les annihiler, comme durant le MIS 16.

Lorsque les conditions se réchauffent, à la fin de ces glaciaires particulièrement intenses, les calottes fondent rapidement, libérant de très grandes quantités d’eau de fonte dans les mers nordiques. Ces eaux de fonte forment alors un couvercle d’eau très douce et très froide sur les bassins nordiques, ce qui agit de façon plus brutale sur la circulation profonde. Il n’y a presque plus de convection et pas de brines ou de polynies pour relancer les courants de fond : cela entraîne une dysoxie du fond marin en même temps que des débâcles massives et régulières se produisent à travers toutes les mers nordiques, donnant le faciès sédimentaire SF3 très noir. Les taux de sédimentation sont alors les plus élevés, en raison de la grande quantité d'eau de fonte et d’icebergs relâchées qui vont apporter du matériel détritique loin de la source.

Ce qui nous amène à nous demander ce qu’il se passe le reste du temps et donc à nous pencher sur un autre faciès sédimentaire.


Le faciès sédimentaire SF1.

Ce faciès, présenté ici dans l’encadré jaune, correspond à une sédimentation très enrichie en grains de silt et de sable pris dans une matrice argileuse, mais ces grains, à l’inverse des deux faciès précédents, sont bien triés dans le sédiment. La susceptibilité magnétique associée à ce faciès est toujours élevée, supérieure à 50, et le sédiment y est généralement assez riche en microfossiles calcaires et très bioturbé. De plus, le D50 nous indique une granocroissance de la taille des grains de la base du faciès vers une taille maximale, puis une granodécroissance progressive du sédiment.


Si l’on regarde un peu plus en détails, on s’aperçoit que certains niveaux de ce faciès se sont déposés en lits pluricentimétriques successifs, où les bioturbations y sont particulièrement bien identifiables, comme vous pouvez le voir ici sur le scanner de la lame mince. La base est nette, érosive, et elle-même bioturbée. Des foraminifères benthiques et planctoniques sont présents.


Quand on se penche sur les données granulométriques, on observe généralement deux modes : l’un dans les argiles, et le second dans les sables.


Tous ces éléments rappellent très fortement le faciès décrit par Mulder et al., 2013 dans le golfe de Cadix, et nous amène à interpréter ce faciès...


...comme une sédimentation contouritique.


Ce faciès se retrouve essentiellement durant les périodes interglaciaires, même s’il arrive de le retrouver également durant certaines périodes glaciaires, et notamment durant le dernier maximum glaciaire et la dernière déglaciation dans tout le sud des mers nordiques.

Ce faciès implique une circulation profonde active, avec des conditions de vie favorable pour les microorganismes benthiques et planctoniques. Ce type de sédimentation suggère des conditions similaires à ce qui existe actuellement dans les mers nordiques, avec des calottes continentales réduites, un niveau marin élevé, des courants de surface actifs, une convection profonde accélérant la circulation de fond, et un couvert de glace de mer saisonnier sur la partie est des mers nordiques, le long de la marge est-groenlandaise. À cela s’ajoute de très rares icebergs dérivant jusque sous la zone de fracture de Jan Mayen.

Du moins, cette interprétation paléoenvironnementale est-elle valable pour le sud des mers nordiques.


Dans le nord, les interglaciaires n’enregistrent pas tout à fait la même chose, ce qui nous amène au faciès sédimentaire suivant, le faciès SF2.

Ce faciès, retrouvé presque uniquement dans la zone nord, se caractérise par une sédimentation argileuse très fine, de couleur marron tirant légèrement sur le violacé, très riche en eau et marquée par de nombreuses lamines fines et silteuses. Ce faciès particulier peut mesurer presque un mètre d’épaisseur et, bien qu’il renvoie un signal de calcium élevé, il ne contient pas ou que très peu de foraminifères ou autre microfossiles calcaires. Il ne présente pas non plus (ou presque pas) de bioturbation, ni d’IRD.


Lorsqu’on l’observe ce faciès sur une lame mince, on s’aperçoit que chaque lamine présente une base nette et érosive, mais aussi, qu’il y a une granodécroissance de la base silteuse au sommet argileux.


Si on se penche plus avant sur les données de granularité, on s’aperçoit que, dans les lamines, le mode principal est dans les silts fins, alors que dans les argiles, la courbe présente une belle tendance gaussienne, ce qui indique un tri propre du sédiment, et le mode principal est dans les argiles très fine, à 3,5 µm.


Ce faciès particulier est donc interprété comme un faciès turbiditique, avec le dépôt des sédiments silteux, puis progressivement granodécroissant jusqu’aux argiles, donnant des turbidites de boue, probablement par la décantation du nuage néphéloïde accompagnant les turbidites.


Le SF2 se retrouve donc essentiellement dans le nord, durant les périodes interglaciaires. L’absence de bioturbation, de foraminifère et d’IRD suggère un dépôt relativement rapide de ce matériel. On pourrait également supposer des conditions particulières dans la zone nord, avec de la glace de mer saisonnière ou semi-pérenne, qui entrainerait des rejets de saumures et produiraient par la même des déstabilisations de pentes et donc des courants de turbidité.

Ce couvert de glace de mer jouerait sur la productivité, la réduisant fortement, et cette même glace de mer empêcherait les icebergs arctiques de passer dans le centre du détroit. Ils seraient plutôt emportés plus à l’est, par le courant est-groenlandais.

Enfin, il nous reste un faciès à identifier. Un faciès qui ne se retrouve que durant certains interglaciaires particuliers, et que je vous ai déjà montré à plusieurs reprises : le fameux faciès très blanc.


Le faciès SF5.

Ce faciès peut représenter jusqu’à 1 m d’épaisseur de sédiment. Il présente une susceptibilité magnétique assez forte, un peu supérieure à 50 S.I., et un D50 entre les argiles et les silts. Ce qui le différencie beaucoup des autres faciès, c’est sa couleur, très claire, mais aussi sont contenu en calcium, qui ressort très fortement, comme vous le voyez ici, et en microfossiles calcaires, qui ressort tout autant.

Ce faciès est donc très bioturbé, riche en nanno- et microfossiles calcaires, et n’enregistre pas d’IRD.


Si l’on regarde ce faciès à l’échelle de la lame mince, on constate que l’on se trouve dans un sédiment argileux très riche en foraminifères. Ce qui ne manque pas d’être intéressant, c’est l’aspect des courbes de fréquence granulométriques, multimodales. Si on les regarde plus en détails, on s’aperçoit que plusieurs modes ressortent assez bien et qu’ils se comprennent sans trop de difficulté : 


Un mode argileux, autour de 4 à 8 µm, qui va constituer la matrice du sédiment.


Un mode silteux très fin, entre 15 et 40 µm, qui va correspondre à la composante active de la sédimentation, donc à un courant de fond.


Et deux modes sableux, entre 270 et 1000 µm, qui vont correspondre à la composante biogénique du sédiment, donc aux microfossiles calcaires, de type planctonique pour la gamme 270 µm, et de type benthique pour la gamme supérieure à 1000 µm.


On se trouve donc face à une sédimentation hémipélagique avec action d’un courant de fond type contourite.


Ce faciès n’est présent que dans le sud des mers nordiques et s’enregistre durant les interglaciaires les plus intenses, soit durant le MIS 11, où ce faciès domine la sédimentation, durant le MIS 5, mais uniquement dans la carotte la plus au sud, la KC01, et durant l’interglaciaire actuel dans les trois carottes sud.

Ça signifie que le nord des mers nordiques a connu des conditions particulières qui ne se retrouvent pas forcément dans les sédiments actuels du détroit de Fram. À l’inverse, dans le sud, les conditions paléoenvironnementales et paléoclimatiques devaient être similaires durant le MIS 11 à ce qui se retrouve aujourd’hui.

Ce stade isotopique a déjà suscité un grand nombre de recherche. Longtemps considéré comme l’un des meilleurs analogues, il a été très étudié et analysé au cours des deux dernières décennies. Et des éléments particuliers ont été mis en avant dans certains articles, que l’on peut, avec nos carottes, tendre à valider.


Commençons par regarder un peu plus en détails les données sédimentaires. Vous avez ici les cinq carottes mises en parallèles, avec les données de calcium en gris et les données de comptages de foraminifères planctoniques en couleurs. On voit bien que le stade 11 ressort plus que tous les autres.
Penchons-nous donc juste un instant sur cet interglaciaire particulier. En raison de la forte corrélation entre les trois carottes sud, les données d’une seule des trois carottes seront présentées, la KC03.


Je vous montre ici un focus sur les stades 13 à 9, pour avoir un minimum de recul sur le stade 11, et je ne présente, en donnée de carotte, que les foraminifères. Mais tous les paramètres reliés à ce pic de carbonates,...


...comme le pulse de calcium...


...ou encore le pulse de luminance...


...ressortent de la même façon.

Il y a donc plusieurs choses intéressantes à noter sur ce stade isotopique. Plusieurs auteurs (Kandiano, Thibodeau, Candy, Jakobsson…) ont mis en avant une réactivité atypique. La plupart du temps, la Terminaison, donc la période de transition entre un glaciaire et un interglaciaire, dure entre 10 et 12 ka. Pour le stade 11, en revanche, Candy et al. (2014) décrit la terminaison comme ayant duré 30 ka. Cela veut dire qu’il a fallu environ 30 ka pour que des conditions pleinement interglaciaires se mettent en place, avec des eaux de surface chaudes et salées, et un pulse de production primaire marqué.


Nos données montrent qu’il a fallu environ 20 ka pour arriver aux conditions pleinement interglaciaires, avec le max de production de microfossiles calcaires. Bien que ça ne représente pas les 30 ka donnés par Candy, nous mettons nous aussi en exergue une durée plus longue que la moyenne pour atteindre les conditions pleinement interglaciaires.

Pour comprendre ce qui a pu se passer, il faut remonter un peu dans le temps et regarder ce qu’il se passe durant le stade 12.


Ce glaciaire est connu comme étant une période particulièrement froide, avec des conditions climatiques probablement similaires à celles connues durant le dernier maximum glaciaire, il y a 30 ka. Le niveau marin a baissé de 120 m a minima durant cette période et plusieurs auteurs (Knies, Laberg, Vogt…) ont proposé une avancée des calottes jusqu’au rebord de plateforme.

Il faut bien comprendre que, pour qu’une calotte continentale de cette taille puisse se former, il faut une source d’humidité. Donc durant toute la phase de grossissement des calottes, le courant atlantique chaud et salé, porteur d’humidité, devait remonter suffisamment loin au nord pour apporter de l’humidité et donc des précipitations neigeuses dans le domaine sub-arctique.


Durant presque tout le stade 12, l’insolation estivale n’a fait que diminuer. Or, plus l’insolation estivale est forte, plus la glace va fondre en été.

Une baisse de l’insolation implique une baisse de la fonte estivale, et une dominance progressive de l’englacement. Les prises en glace hivernales devaient relarguer de grandes quantités de saumures en surface, stratifiant très fortement la colonne d’eau et rendant progressivement la halocline presque infranchissable pour les courants marins. Il a donc dû être de plus en plus difficile pour le courant chaud Norwegian Atlantic Current d’avancer en surface vers le nord. Il a dû progressivement être contraint de passer en subduction glaciaire par la stratification de plus en plus marquée de la colonne d’eau.

Cette contrainte physique a donc probablement fortement réduit, et peut être même quasiment annihilé, les échanges de chaleur et d’humidité avec l’atmosphère durant le pléni-glaciaire. Les conditions atmosphériques deviennent alors très arides et très froides. Il n’y a plus d’humidité pour permettre à la calotte de continuer à grossir. Progressivement, la quasi-totalité des bassins océaniques a dû se retrouver recouverte par la glace, à part quelques polynies côtières (ces trous d’eau sont aujourd’hui des zones de productivité majeures, avec formation d’eau profonde). Les calottes ont donc dû stagner un temps, puis les conditions d’insolation estivale ont augmenté à nouveau et la fonte a pu commencer à se produire.


La très large extension de ces calottes boréales à cette époque implique l’emprisonnement de quantité faramineuses d’eau douce sous forme solide sur une zone relativement restreinte de la planète. Par conséquent, lorsque la fonte des calottes a commencé, ce sont des quantités très importantes d’eau de fonte qui se sont retrouvées en surface. Plusieurs auteurs (Candy, Thibodeau, etc.) et nous-mêmes, proposent une fonte lente de ces calottes, ce qui pourrait expliquer la durée plus importante de la période de transition entre le début du réchauffement et la mise en place des conditions pleinement interglaciaires.

Le courant chaud atlantique ne subit alors plus la contrainte d’une couche d’eau de surface très salée, mais celle d’une couche d’eau de surface très douce et très froide. Ce couvercle d’eau de fonte a probablement dû maintenir une stratification très forte de la colonne d’eau. La fonte entraîne la disparition des polynies. Leur disparition induit la perte d’une source de formation d’eau profonde. Et même s’il est peu probable que toute convection se soit totalement arrêtée durant cette phase de transition, nous supposons très fortement que toute convection profonde, apportant des eaux oxygénées à l’interface entre l’eau et le sédiment, s’est arrêtée tant qu’a perduré ce couvercle d’eau très douce. Le fond des bassins océaniques a alors progressivement perdu son oxygène et des conditions dysoxiques à anoxiques ont formé les dépôts du faciès sédimentaire SF3 noir. La fonte et la destruction des calottes a induit des débâcles massives et régulières d’icebergs, donnant par la même une grande quantité de matériel détritique terrigène loin de sources.


Ces conditions particulières ont duré jusqu’à 405 ka avant aujourd’hui environ, soit durant près de 20ka. Puis les eaux de surface très douce ont fini par se mélanger avec le reste de la colonne d’eau et des conditions très chaudes et très favorables à la production biogéniques, similaires à ce que nous retrouvons aujourd’hui dans les mers nordiques, se sont mises en place.


Et justement, en comparant le MIS 1, donc l’interglaciaire actuel, et le MIS 11, on peut se rendre compte que nous enregistrons un signal très similaire à ce qui s’est produit durant le stade 11.

Tout ceci nous permet donc d’avoir une vision globale de l’évolution des périodes glaciaires et interglaciaires au cours des derniers cycles climatiques.


On pourrait d’ailleurs en faire une synthèse simplifiée pour l’ensemble des bassins nordiques.


Trois grands modèles paléoclimatiques peuvent ressortir de cette étude.

Un premier modèle, correspondant aux périodes glaciaires, avec des conditions très rudes, des calottes continentales très développées, un couvert de glace de mer pérenne à semi-pérenne sur la majorité des mers nordiques et des courants marins limités dans leur extension vers le nord.


Un second modèle, correspondant aux périodes de déglaciation, notamment liées aux glaciaires les plus intenses, mais aussi internes à certains glaciaires, donnant un couvercle d’eau de fonte et des débâcles d’icebergs massives. Ces phases sont des transitions entre deux périodes climatiques et présentent les taux de sédimentation les plus élevés.


Enfin, un troisième modèle de fonctionnement de ces mers, correspondant aux interglaciaires, avec des courants profonds oxygénant bien les fonds marins, des entrées d’eau atlantique dans les mers nordiques bien marquées et une circulation océanique globale active.


Ce que vous aurez peut-être remarqué dans ce que je vous ai présenté jusqu’ici, c’est que ces trois modèles semblent fonctionner convenablement pour, environ, les derniers 670 ka, soit pour les 16 derniers stades isotopiques. Tout ce qui se produit avant, entre le stade 17 et le stade 31, semble assez irrégulier et la sédimentation n’y est pas clairement dépendante des périodes glaciaires ou interglaciaires.

Donc nos résultats suggèrent que ce n’est qu’à partir du stade 16, lui-même assez atypique en raison de sa quasi-absence dans la sédimentation (son taux de sédimentation y est proche de 0 pour la majeure partie du glaciaire) qu’une alternance des périodes glaciaires et interglaciaires, avec formation de grandes calottes continentales, s’est réellement mise en place sur le dernier million d’années.


Donc, de tout cela, nous pouvons en conclure que :


5 Faciès sédimentaires dominent la sédimentation dans les mers nordiques. De ces 5 faciès, associé à d’autres paramètres mesurés dans nos carottes,


Trois modèles paléoclimatiques généraux ont pu être déduits, permettant de reconstruire l’histoire paléoclimatique des mers nordiques.

Bien entendu, il y a bien des choses qui peuvent être encore racontées avec les cinq carottes dont je vous ai parlé aujourd’hui. Mais nous avions tout de même un jeu de données beaucoup plus vaste et très complet, permettant d’avoir une vue sur l’ensemble des bassins nordiques.


Des analyses ont déjà été réalisées sur certaines de ces carottes, des réflexions ont déjà été menées, et des datations ont déjà été faites. Quelques échelles stratigraphiques ont été réalisées et sont encore à valider mais permettent déjà d’avoir un regard plus étendu sur la sédimentation de ces mers.

Ici, je vous présente une carte qui peut sembler complexe de prime abord, mais qui ne l’est pas tant que ça. C’est un premier regard synthétique sur les carottes ayant déjà été analysées.

Les camemberts correspondent simplement au pourcentage de matériel argileux, en bleu-noir, silteux, en jaune et sableux, en marron. Déjà, rien qu’en regardant ces graphiques, on distingue certaines tendances.


Les camemberts présentant des pourcentages de silts proches de 40% se situent sur le chemin des systèmes de chenaux levées.

Une exception est la KC01, qui présente seulement 28% de silts, mais 31% de sables, et qui se situe sur une levée du chenal de Lofoten. 

Vous avez en plus les graphiques de fréquence des mode principaux en bas, et secondaire en haut et renversés. On remarque que pour ces carottes, la fréquence du mode principal ressort bien dans les silts, et la fréquence du mode secondaire ressort bien dans les sables.


Ca peut s’expliquer par l’assez grande quantité de niveaux turbiditiques qui s’y trouvent.


Ensuite, on identifie les carottes qui enregistrent majoritairement une sédimentation glaciaire, donc soit avec des tills glaciaires de type diamicton, ...


...retrouvés, aussi bien sur le haut de pente que sur les plateformes continentales, soit des avec diamictons plus profonds, pouvant être assimilés à des debris flow glacigéniques, généralement dans les TMF profonds, au débouché des paleoice-streams. Ces carottes ne dépassent pas, en première analyse, les derniers 40 ka.


Enfin, il y a une troisième de catégorie de carottes, plus large, qui vont enregistrer une sédimentation plus long terme, avec plus de variabilité, et qui peuvent être utilisées à des fins de reconstructions paléoclimatiques et sédimentaires plus long terme.


Et cette carte ne fait qu’effleurer la surface de toutes les possibilités que nous offre ce jeu de données exceptionnel. Autant dire que le travail sur les mers nordiques ne fait que commencer.


Voilà, je vous remercie de votre attention.


Et bien sûr, on ne travaille jamais seul.

Références Bibliographiques