The Role of Lithosphere Thickness in the Formation of Ocean Islands and Seamounts: Contrasts between the Louisville and Emperor–Hawaiian Hotspot Trails
Le rôle de l'épaisseur de la lithosphère dans la formation des îles océaniques et des monts sous-marins : comparaisons entre les parcours des points chauds de Louisville et de Empereur-Hawaii
J. Godfrey Fitton, Rebecca Williams, Tiffany L. Barry & Andrew D. Saunders
Journal of Petrology, Volume 61, issue 11-12, pp. 1-31, 2021
https://doi.org/10.1093/petrology/egaa111
Pour citer cet article :
Fitton J.G., Williams R. , Barry T.L., Saunders A.D. (2020). The Role of Lithosphere Thickness in the Formation of Ocean Islands and Seamounts: Contrasts between the Louisville and Emperor–Hawaiian Hotspot Trails, Journal of Petrology, Volume 61, Issue 11-12, egaa111, https://doi.org/10.1093/petrology/egaa111
Synthèse relue par Thibault Cavailhes, laboratoire EPOC, Université de Bordeaux et Michel Dobrijevic, Laboratoire d'Astrophysique de Bordeaux, Université de Bordeaux.
Les chaînes Hawaii-Empereur et Louisville sont deux chaînes sous-marines formées par les points chauds les plus remarquables existant sur Terre. Ils se sont formées pendant un intervalle de temps comparable, sur des lithosphères océaniques d'épaisseurs et d'âges similaires.
La chaîne Hawaii-Empereur présente des monts-sous-marins de grande taille et la production de magma lui étant associée semble augmenter encore aujourd'hui. En comparaison, la chaîne de Louisville présente des monts plus petits et son parcours semble marqué par une décroissance de la quantité de magma produite.
Dans cet article, les chercheurs présentent de nouvelles données d'éléments majeurs et d'éléments traces obtenus pour les 5 monts sous-marins de Louisville les plus anciens (74-50 Ma BP) forés durant l'expédition 330 du projet IODP (Integrated Ocean Drilling Program). De plus, ils comparent ces résultats avec les données publiées pour les monts sous-marins de la chaîne de l'Empereur datés du même âge.
Leurs données confirment les résultats des études antérieures (basées essentiellement sur des relevés superficiels) indiquant que les monts sous-marins de Louisville se composent d'un basalte alcalin remarquablement uniforme. La composition du basalte peut être modélisée par une fusion partielle de 1,5 à 3% des roches du manteau, composées essentiellement de lherzolite à grenats. La composition de ce basalte est similaire à celle du plateau de Ontong Java, formé par le même panache mantellique (la chaîne de Louisville serait la queue du panache mantellique tandis que le plateau de Ontong Java en serait la tête, e.g. Mahoney & Spencer, 1991).
Les roches de la chaîne de l'Empereur présentent une composition de basalte tholéiitique à alcalin et nécessitent un plus haut degré de fusion partielle, compris entre 2 et 10%, ainsi que d'une source mantellique composée de lherzolite à spinelles jusqu'à des lherzolites à grenats.
En utilisant un modèle simple de décompression, les auteurs démontrent que pour la chaîne de l'Empereur, la fusion partielle doit se faire à une température potentielle avoisinnant 1500°C alors que pour la chaîne de Louisville, la température potentielle doit être plus faible, autour de 1300-1400°C.
Ces résultats sont cohérents avec les données concernant la formation de magma de la chaîne Hawaii-Empereur, issue de l'axe le plus chaud de la plume mantellique.
La composition des basaltes de la chaîne de Louisville ne montre pas de variation significative de l'épaisseur de la lithosphère au moment de la formation des monts sous-marins, à l'inverse de ce que suggère leur modèle de fusion par décompression. Cette absence d'influence de l'épaisseur de la lithosphère est caractéristique des basaltes de la plupart des îles océaniques.
Une solution à ce problème peut être trouvée pour la chaîne de Louisville si l'on considère que les monts sous-marins se sont formés dans un panache plus froid, par déshydratation des roches du manteau partiellement hydratées (on parle alors de fusion hydratée, de dehydration melting en anglais, littéralement traduit par "fonte de dessication", ou encore de hydrous melting). La fusion hydratée dans un panache mantellique relativement froid (1350-1400°C) peut produire une petite quantité de fusion et ensuite être inhibée par une augmentation de la viscosité en atteignant le solidus du manteau sec puis fondre davantage. Le fait que le panache ne parvienne pas à atteindre le solidus du manteau sec ou la base de la lithosphère implique la formation d'un magma qui aura la même composition, sans tenir compte de l'épaisseur de la lithosphère.
Un panache plus chaud (environ 1500°C) sous la chaîne de l'Empereur et les îles hawaïennes aurait une viscosité plus faible avant le début de la fusion, fondrait sur une plus grande étendue, et se décompresserait à la base de la lithosphère.
Ainsi, le modèle de décompression présenté dans cet article peut potentiellement expliquer la composition à la fois de la chaîne de l'Empereur et de celle de Louisville. Ajoutons que l'absence de contrôle lithosphérique significatif sur la composition des basaltes des îles océaniques suggère que la fusion hydratée est la règle et que les îles hawaïennes sont l'exception.
D'un autre côté, de nombreuses îles océaniques pourraient ne pas être le produit de panaches mantelliques mais plutôt être issues de fusion par décompression de sources mantelliques homogènes composées de péridotites contenant des corps discrets d'éclogite carbonatée et sursaturée en silice dans le flux convectif général du manteau supérieur.
La fusion de décompression dans les panaches mantelliques est essentiellement contrôlée par la température potentielle et l'épaisseur de la lithosphère. La profondeur à laquelle commence la fonte augmente avec la température potentielle et le degré de fusion augmente régulièrement avec la chute de pression jusqu'à ce que l'upwelling et la décompression soient arrêtés par le couvercle lithosphérique.
La figure ci-dessous présente un modèle simple de fusion par décompression dans le manteau :
Dans ce modèle, la fusion commence en atteignant le "dry mantle solidus", le solidus du manteau sec et atteint son maximum à la base de lithosphère. Lorsque la température potentielle atteint seulement 1300°C, la fusion cesse dès 57 km d'épaisseur de lithosphère. Alors que pour une température potentielle de 1500°C, il faut une épaisseur de lithosphère de 120 km pour que cesse la fusion mantellique.
Le taux auquel se produit la fonte du manteau lors de la baisse de pression au-dessus du solidus est gouverné par la chaleur latente de fusion.
Conclusions
L'expédition de forage IODP 330 a permis de récupérer des roches basaltiques de cinq monts sous-marins de chaîne de Louisville. Trois des cinq forages ont permis de remonter des roches du bouclier primaire de formation de la chaîne. Les analyses géochimiques sur ces roches confirment la composition basaltique alcaline globalement homogène. Leur formation n'a nécessité que 1,5 à 3% de fusion des lherzolites à grenats du manteau, contrairement à ce qu'a nécessité la chaîne Empereur-Hawaii (2 à 10% de fusion du manteau de lherzolite à spinelles et grenats).
Les prédictions du modèle numérique permettent de reconstituer les basaltes de la chaîne de Louisville avec une température de 1300-1400°C environ, soit une température inférieure à celle de la chaîne Empereur-Hawaii, témoignant du déplacement de la chaîne au-dessus d'une zone moins chaude du panache mantellique sous-jacent.
Bien que le modèle présenté ici ne soit pas en mesure de prédire une composition si homogène pour les basaltes de Louisville, une solution est trouvée en faisant intervenir une fusion partielle hydratée du manteau dans un panache plus froid.
Pour de nombreuses îles océaniques, comme la chaîne de Louisville, la composition des basaltes n'est pas impactée par l'épaisseur de la lithosphère. Seules quelques îles, comme l'Islande, les Galapagos, ou encore Hawaii, se composent de basalte tholéiitique dont la composition peut potentiellement s'expliquer par une fusion des péridotites du manteau par décompression sèche sous la lithosphère. Le cas d'Hawaii est très particulier, car l'épaisseur de lithosphère que doit traverser le panache mantellique implique une température particulièrement importante de ce panache.
La plupart des îles ne sont probablement pas le produit de panaches mantelliques, mais sont peut-être formées par fusion de décompression des roches hétérogènes du manteau dans un courant convectif du manteau supérieur.