Partie 06/10 - Adrien Eude nous raconte les mouvements des géants
Donc bonsoir à tous. Merci beaucoup.
On va commencer avec un petit anachronisme.
Vous avez ici une photo satellite d'il y a 6 millions d'années, prise depuis l'Atlantique, sur laquelle on voit le détroit de Gibraltar qui était bien fermé. C'est ce dont on parle, mais il existait deux corridors qui reliaient l'océan Atlantique et la Méditerranée, permettant d’apporter de l'eau salée. Et donc il y a eu beaucoup plus d’évaporites que prévu.
Donc ces zones clés que Emmanuelle Ducassou va nous forer avec sa perceuse - Bon courage ! - Eh bien on va s'y intéresser, donc on va essayer de comprendre leur formation. La formation de ces corridors et surtout leur fermeture pour arriver à fermer l'Atlantique de la Méditerranée.
Donc il faut se replacer dans un cadre tectonique. La tectonique de la Méditerranée, c'est un peu compliqué.
Mais ma foi, au premier ordre, c'est fort simple, c'est ce qu'on apprend à l'école : la plaque africaine, elle est en train de plonger et de se rapprocher de la plaque eurasiatique. Donc par exemple, ici au niveau de la Grèce, vous avez une coupe Sud-Nord sur laquelle on voit que la plaque africaine, avec sa croûte, son manteau lithosphérique, c'est à peu près à 150 kilomètres de profondeur, plonge sous la Grèce en provoquant du volcanisme.
C'est par exemple le volcan Santorin, en Grèce.
Donc ça, c'est au premier ordre. Vous avez ici une image de la Corse et de la Sardaigne qui, il y a 25 millions d'années, étaient accolées à nos côtes, comme on le sait. Par exemple, en Corse, il y a une partie qui est la chaîne des Alpes. On sait que la Sardaigne était impliquée dans la formation des Pyrénées.
Donc ça, c'était il y a 25 ans, 25 - pardon - millions d'années.
C’est pareil pour la position actuelle de la Corse et de la Sardaigne, maintenant elle est nord sud. Donc on sait que depuis 25 millions d'années, eh bien ce bloc a tourné. C'est le cas aussi pour l'Italie et c'est le cas aussi pour la zone qui nous intéresse un peu plus de Gibraltar.
On va regarder un peu plus dans le détail. On s'intéressera aux petits bâtonnnets gris ensuite. Pour comprendre comment les plaques plongent et avancent, on fait des petits modèles analogiques, c'est-à-dire qu'on compare des modèles qu’on fait en laboratoire, où les plaques tectoniques ici sont modélisées par une plaque de silicone, le manteau par du miel.
Pourquoi on utilise du miel plutôt que la confiture de mûres, par exemple ? Eh bien parce que les rapports de densité entre la plaque, la silicone et le manteau sont égales entre la lithosphère et le manteau.
Attention, le problème que ça pose de considérer le manteau comme du miel, c’est qu’on se dit que ce manteau est liquide. N’oublions pas que le manteau, c’est d'abord une roche bien dure, mais qui, comme un glacier, à l'échelle longue peut être considérée visqueuse.
Alors qu'est ce qu'on voit ?
Ben que les plaques tectoniques, si vous voulez, elles vont chuter dans le manteau. C'est une chute gravitaire sous leur propre poids. Et puis elles peuvent avancer, du coup, c'est un mouvement vertical qui est transféré, un mouvement horizontal comme ça, et la plaque avance.
Alors ça, c'est vrai, à condition que la plaque sur le bord soit libre. Si la plaque est fixée, si elle est bloquée, ben cette plaque, elle va bien couler, simplement, la zone où elle plonge, eh bien elle recule. Donc la zone de subduction, la zone où la plaque plonge, eh bien elle recule. C'est ce qu'on appelle le Slab roll back, le recul du panneau plongeant.
C’est quelque chose qui commence à être bien connu chez les géologues.
Alors pourquoi la plaque qui plonge, la plaque Africaine, serait fixée ?
Bah oui ! La plaque africaine, à grande échelle, vous voyez, c'est quand même une sacrée plaque ! 60 millions kilomètres carrés à la louche, une partie océanique, une partie continentale que l'on dit cratonique, c'est-à-dire qu'elle est épaisse, elle est fixée dans le manteau. Donc sa partie qui plonge, au nord, elle a du mal à plonger, elle a du mal à entraîner la plaque. Donc elle recule au premier ordre.
Si on replace ici dans ce petit graphique la vitesse de la plaque africaine faite ici, vous avez en abscisse les vitesses en cm/an, et en ordonnée, ici, le pourcentage de frontière des plaques qui plonge. On voit qu’elle se décompose en deux groupes :
- Des plaques lentes qui ont plutôt des pourcentages qui plongent à un petit pourcentage.
- Et quand il y a une grosse frontière qui est en train de plonger et de subduire, eh bien on voit que les plaques vont plutôt vite. Par exemple, la plaque Pacifique, ici, qui va à peu près à 8 cm/an.
On a ici une belle illustration de la force qui met en mouvement les plaques. C'est leur poids.
Bah depuis 25 millions d'années, en mer Méditerranée, que ce soit en Grèce, que ce soit côté golfe du Lion ou côté Gibraltar, ces zones de plongement, elles reculent.
Donc le bloc corso-sarde en rotation avec des vitesses par là. En Grèce, vers 40 millions d'années, la plaque africaine elle plongeait là, maintenant elle plonge là, sous la Crête. Et puis côté Gibraltar, on voit une plaque qui est en train de se déchirer vers l'ouest. Donc on va voir tout ça dans le détail. Donc en cartes.
On commence ici à 23 millions d'années.
Donc la Corse et la Sardaigne sont ici sur nos côtes. Les Alpes sont en grande partie formées, les Pyrénées aussi, et cette partie va tourner en rotation. Va tourner. La plaque va se déchirer vers Gibraltar aussi.
Ici, vers 15 millions d'années et entre 10 et 0 millions d'années, 10 millions d’années et maintenant, il y a toujours cette plaque du côté de Gibraltar qui recule et qui se déchire vers l'Atlantique en formant deux chaînes de montagnes importantes dont on va reparler : les Bétiques, au sud de l'Espagne, la cordillère des Bétiques, et le Rif côté marocain.
Donc la crise Messinienne, ben c'est 6 millions d'années, c'est entre les deux. On va regarder ce qui se passe.
Est-ce que, premièrement, on peut voir cette plaque qui est en train de se déchirer ? Qui est en train de bouger vers l'ouest ? Est-ce qu'on peut la voir ?
On va regarder ici une coupe, c'est-à-dire une tranche de la Terre. On va regarder ce qu'on appelle de la tomographie sismique. Or, la tomographie sismique, en gros, c'est quoi ? Il y a des séismes qui sont émis partout sur Terre, notamment des téléséismes : ceux qui arrivent de loin, de l'autre côté du monde, de la planète, comme par exemple les séismes du Pacifique.
Ces ondes sismiques arrivent avec une certaine vitesse. Là on a une image des anomalies vitesse.
C’est-à-dire en bleu, les ondes sismiques vont plus rapidement que la plaque, globalement plus froide.
Et en rouge les ondes sismiques qui vont globalement plus vite.
Vous voyez qu'ici, sur une coupe Ouest (atlantique) Est, on voit bien cette plaque qui est en train de plonger vers la Méditerranée et qui recule. Ici, je vous passe les détails, mais en gros c’est une zone chaude ici, ça montre un flux [...?]. Donc une première vue en coupe, oui, on voit bien cette faille.
Une deuxième vue en carte ici, c'est assez joli, on a quelque chose qui est aussi la tomographie sismique, un peu particulière. Donc on a des petits bâtons là. En fait, c'est une carte qui est à 200 kilomètres de profondeur. Ce sont des anomalies de vitesse, mais selon une certaine direction, dans le sens des petits bâtons, c’est les ondes sismiques qui vont plus vite dans une certaine direction que dans l'autre.
Alors comment est-ce qu’on interprète ça ?
On voit des petits bâtons qui rejoignent tous globalement ce fameux bloc corse-sarde. Je vous l’expliquais tout à l’heure, la Corse et la Sardaigne étaient quelque part par là, elle est en train de reculer depuis 25 millions d'années. Donc là on voit vraiment une espèce d’aspiration du manteau, un flux mantellique, mais qui est bloqué par cette espèce de patate violette qu’on interprète comme étant la zone de subduction de Gibraltar.
Et en 3D, donc en 3D, c'est pas évident.
L'image qu'on peut s’en faire sera quelque chose comme ça. L'Espagne au nord, le Maroc au sud, avec la plaque africaine qui se déchire vers l'ouest. Elle est à la fois en train de plonger vers la Méditerranée, en tous cas elle déchire le [côté atlantique ?]. Elle déchire, hein, cette plaque ?
En voilà une autre vision. Ici, c'est un peu comme la photo satellite du début, c’est une vue de l'Atlantique. Donc vous avez... Voilà, ça, c'est une situation actuelle. Alors qu'est ce qui se passe ? Donc l'Espagne à gauche de la gauche de l'écran, Le Maroc à droite. Donc globalement, au milieu, là où la plaque est en train de se déchirer, on a de l'extension, mais de manière concomitante à cette extension, on a sur les bords de la compression.
C'est matérialisé ici par la petite flèche orange, la formation de la chaîne des Bétiques au nord, la formation de la chaîne du Rif au sud, le mouvement compressif, faisons un point là-dessus.
Voici une carte des deux corridors en bleu foncé qui ont probablement servi : les deux derniers passages qui liaient l'Atlantique et la Méditerranée vers 6 millions d'années en bleu.
Première remarque que l’on peut faire : on voit que ces deux directions de corridors, donc des passages d'eau à 6 millions d'années, sont dans la même direction que les deux chaînes de montagnes, les Bétiques et le Rif.
Donc, y'a forcément un lien inexpliqué. Quel est le lien ?
Alors la chaîne de Bétiques, c'est un joli relief qui fait quand même... la Sierra Nevada, c’est 3480 m, c’est beaucoup plus haut que le sommet des Pyrénées. Enfin, pas beaucoup, celui des Pyrénées est à 3000 m, le pic d’Aneto.
Comment est ce qu'on fait des reliefs sur Terre ? Il faut que les roches s'empilent les unes contre les autres sur des zones où la croûte s'épaissit et par un effet de poussée d'Archimède, finalement, ça crée une zone qui monte, qui va s’éroder ensuite. Donc des roches qui s'empilent.
Revenons aux rifts. Du coup, on va réfléchir à ça. C'est globalement pareil en Espagne, mais si je montre une coupe, on va regarder un profil sismique, comme Hervé l'a montré tout à l'heure, c’est-à-dire une image en coupe Nord-Sud dans le Rif. Ça donne ça. Voici la Coupe Nord-Sud. Et qu'est ce qu'on voit sur cette coupe sismique, qui est interprétée ? Vous avez les sédiments qui se déposent du Messinien, ici en marron U3.
Qu'est ce qu'on voit premier abord ? Ben une suite de roches qui se sont empilées avec des chevauchements sur le reste en formant des plis.
Qu'est ce qu'on voit que les sédiments du Miocène ils se sont mis ici entre deux plis. C'est ce qu'on appelle un pli synclinal en U et puis au front de cette chaîne de montagnes du Rif, c'est-à-dire devant, ils se sont déposés là.
Donc les deux corridors, ces deux zones, si vous voulez, eh bien ils sont liés à la formation des chaînes de montagnes.
C’est soit géométriquement des plis synclinaux, creux, soit des bassins d'avant-pays pour les plus géologues d’entre vous, c’est-à-dire des trous qui se forment au-devant des chaînes de montagnes.
Et si on récapitule, voilà, vers 8 millions d'années, avant la crise, il y avait deux corridors qui liaient la Méditerranée et l'Atlantique. La plaque est en train de reculer. La zone de subduction est en train de reculer avec une compression Nord-Sud qui forme ces deux chaînes de montagnes.
Aux alentours de 6 millions d'années, avec un remplissage de sédiments plus un petit coup de soulèvement qui est lié au recul de la plaque, mais ça j’en parle pas.
Et puis, au moment de la crise Messinienne, donc entre 5,97-99 selon les sources, et 5,33 Ma, les deux corridors sont remplis, sont fermés, la Méditerranée est bloquée de l'Atlantique et donc elle s’assèche, elle s’évapore.
Pour finir, avec tout de même une érosion régressive, c'est-à-dire de l'aval, le trou dessiné vers l'Atlantique ici, qui va induire un déluge, un re-remplissage après extrêmement rapide. Déluge auquel on se retiendra bien de mettre une majuscule biblique puisque n’oublions pas que 6 millions d'années, la grand mère, Lucy, australopithèque, n'existait pas, elle a 3 millions d’années.
Voilà. Je vous remercie. Je passe la parole à Athina.