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Late Quaternary contourites and glaciomarine sedimentation in the Fram Strait

Niveau de difficulté : 5

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Contourites du Quaternaire supérieur et sédimentation glaciomarine dans le détroit de Fram

John A. Howe, Tracy M. Shimmield, Rex Harland

Sedimentology, Volume 55, Issue 1, 2008

https://doi.org/10.1111/j.1365-3091.2007.00897.x

 

Pour citer cet article :
Howe, J. A., Shimmield, T. M., Harland, R. E. X., & Eyles, N. (2008). Late Quaternary contourites and glaciomarine sedimentation in the Fram Strait. Sedimentology, 55(1), 179-200.

Résumé

Deux sites dans l'est du détroit de Fram (la ride de Vestnesa et le plateau de Yermak) ont été étudiés et échantillonnés, donnant des enregistrements sur le dernier cycle glaciaire-interglaciaire. Ce détroit est la seule connexion profonde entre l'océan glacial Arctique et l'Atlantique nord. Il renferme des sédiments marins ayant enregistré aussi bien des données sur les courants thermohalins de haute latitude que sur les calottes glaciaires et les interactions ayant eu lieu entre ces courants et les calottes.

Sur la ride de Vestnesa, sur la marge ouest du Svalbard, un drift sédimentaire a été identifié à 1 226 m de profondeur d'eau. Des carottes de gravité et des multitubes ont été réalisés sur le crête de ce drift, révélant des dépôts contouritiques et turbiditiques. Les datations carbone 14 donnent une fourchette d'âge entre 8,282 et 26,9 ka BP à ces dépôts (soit correspondant à l'Holocène inférieur et au Weichsélien supérieur).

Le plateau de Yermak, quant à lui, se caractérise par des sédiments de pente à 961 m de profondeur d'eau. Les carottes de gravité et les multitubes qui y ont été prélevés montrent des contourites et des hémipélagites. Les âges carbone 14 obtenus sont compris entre 8,615 ka BP et 46,437 ka BP (soit de l'Holocène inférieur au Weichsélien moyen).

Les analyses des kystes de dinoflagellés des carottes dans ces deux sites apportent des informations sur les changements de conditions de surface de l'eau depuis de Weichsélien moyen, suggérant un couvert de glace de mer variable, ainsi qu'une productivité et des polynies présentes même durant le dernier maximum glaciaire (Last Glacial Maximum, LGM).

Quatre niveaux de débris transportés par la glace (ice-rafted debris, IRD) ont été identifiés et reliés dans les carottes des deux sites. Ces évènements se sont produits (en âges calibrés) à 9 ka BP, 24 à 25 ka BP, 26 à 27 ka BP, et 43 ka BP, de façon asynchrone avec les niveaux de Heinrich dans le plus large océan Atlantique nord-est. Ces niveaux sont interprétés ici comme reflétant l'instabilité de la calotte glaciaire de Barents-Svalbard et l'advection d'eau chaude atlantique durant le Weichsélien supérieur. L'activité de courant ouest-Spitzberg (West Spitsbergen Current, WSpC) ancestral est reconstitué, interprété, en utilisant l'enregistrement de Sortable Silt dans les carottes.

Sur le drift de la ride de Vestnesa, la masse du taux d'accumulation moderne, calculée en utilisant l'excès de 210Pb, est de 0,076 g/cù²/an. Sur le plateau de Yermak, la masse du taux d'accumulation moderne est de 0,053 g/cm²/an.

Mots clés : Contourites, dinoflagellés, Détroit de Fram, débris transportés par la glace, Dernier Maximum Glaciaire, Quaternaire supérieur, turbidite, Courant Ouest-Spitzberg. 


Synthèse détaillée de l'Article

Introduction

 Les sédiments contouritiques contrôlés par les courants ne sont que très peu étudiés sur les marges continentales de l'Arctique. Bien que ce soit un groupe de sédiments très important, les dépôts contouritiques arctiques sont souvent négligés (Howe et al., 1994, 2002). Étant le fruit de courants thermohalins persistants le long des pentes, l'étude des drifts contouritiques apporte des informations sur la circulation du fond marin et sur le lien entre océan et climat. De plus, les drifts contouritiques ont un fort potentiel d'enregistrements haute résolution sur l'action du changement climatique dans le domaine océanique profond (Bianchi & McCave, 1999 ; Ellison et al., 2006).

Physiographie de la marge

 Carte bathymétrique et physiographique du détroit de Fram, d'après Howe et al., 2008

Les sédiments contouritiques de la ride de Vestnesa reposent sur la marge ouest de Svalbard, entre 78° et 79°N et entre 06° et 07°E. Cette zone se trouve également au niveau de la limite de la zone d'extension de glace de mer hivernale et estivale.

Le plateau de Yermak se trouve 200 km au nord de la marge ouest de Svalbard, entre 80° et 83°N et entre 03° et 11°E. Sa profondeur varie de 650 à 900 m et il se trouve au nord de limite d'extension de la glace de mer estivale : il est sous la glace chaque année, sauf les années exceptionnelles, comme 2002, année où la zone libre de glace s'est étendue jusqu'à 82°N.

Océanographie

Plusieurs courants marins baignent cette zone clé du monde. Deux principaux courants de surface sur l'East Greenland Current, ECG, le courant est-groenlandais, froid et porteur de glace, longeant la marge groenlandaise, à l'ouest du détroit de Fram ; et le West Spitsbergen Current, WSpC, le courant ouest Spitzberg, chaud et amenant les eaux salées de l'Atlantique dans le bassin arctique, longeant la marge de Svalbard, dans l'est du détroit de Fram (Aagaard et al., 1987).

La vitesse du WSpC varie entre 9 et 16 cm/s (Fahrbach et al., 2001) tandis que celle du YSC est beaucoup plus lent, entre 1 et 3 cm/s (Schlichtolz & Houssais, 1999).

Histoire géologique et transport sédimentaire

L'ouverture du détroit de Fram  se produit à la limite Éocène-Oligocène (34 Ma BP, anomalie magnétique 13) (Schäfer et al., 2001). La première apparition des IRD sur le plateau de Yermak et dans le détroit de Fram est identifiée à la limite Miocène-Pliocène et est utilisée comme preuve de la mise en place des premières glaciations boréales de grande ampleur  (Jansen & Raymo, 1996).

Les pulses d'IRD se renforcent durant tout le Pliocène et le Pléistocène, témoignant d'une intensification des glaciations, notamment entre 3,2 et 2,7 Ma BP (Schäfer et al., 2001). Les calottes se sont progressivement étendues sur les marges continentales, donnant structures typiques idifiables aujourd'hui sur les fonds marins :

  • des troughs, ce sont des gouttières creusées par la glace sur les plateformes continentales,
  • et des trough mouth fans (TMF), qui sont des accumulations sédimentaires s'étendant sur la pente continenales et sur la plaine abyssale.

Ces TMF se trouvent au débouché des troughs, donc des zones d'écoulements majeures des calottes (Vorren et al., 1998) et sont marquées par des debris flow et des turbidites.

Entre ces éventails, la sédimentation est dominée par les courants de contour (N.B. : les alongslope currents, littéralement, les courants le long de la pente) et les dépôts hémipélagiques, donnant des drifts contouritiques et un épais drappage du fond par les sédiments, interrompu localement par du diapirisme (Vogt et al., 1999).

La ride de Vestnesa serait le résultat d’une carapace cimentée d’hydrates de gaz permettant au sédiment de s’accumuler selon une forme de mont (Vogt et al., 1994, 1999 ; Vanneste et al., 2002). Cette ride est marquée par des pock-marks et des slumps dus à la matière organique qui se dégrade dans les drifts.

La sédimentation sur le plateau de Yermak et la marge ouest de Svalbard est contrée par une combinaison de cascades de plumes turbides, des eddies turbulents sur le fond marin et une érosion subséquente par des ondes internes. Les particules transportées par les courants de contour peuvent être transportées sur de grandes distances le long de la pente (Fohrmann et al., 2001).

Sur le plateau de Yermark, vers 820 m de profondeur, il y a des érosions causées par le passage d'icebergs sortant de l'Arctique par le détroit de Fram (Kristoffersen et al., 2004).

Lithofaciès des carottes et interprétations

Six lithofaciès ont été identifiés dans les carottes de la ride de Vestnesa et du plateau de Yermak.

Drift contouritique de la ride de Vestensa : lithofaciès S1 à S3

  • Lithofaciès S1 : Boue homogène gris-verte (Homogenous green-gray mud) :

Description : le sédiment est mal trié, la moyenne de taille des grains est comprise entre 8 et 55 µm. Il y a des clastes subangulaires épars et le contact avec les lithofaciès S2 et S3 sont nets.
Interprétation : faciès glaciomarin de contourite boueuse à silteuse (silty-muddy contourite) (Masson et al., 2002) déposé sous l’influence du courant permanent WSpC.

  • Lithofaciès S2 : Boues vertes laminées (laminated green muds) :

Description : le sédiment est finement laminé, assez bien trié, il y a des silts gris-verdâtres sombres. Taille moyenne des grains de 7 à 143 µm.
Interprétation : séquence de turbidites de grains fins, interlitées avec des hémipélagites glaciomarines (Howe, 1996). Le fait de ne presque pas retrouver d'IRD suggère une sédimentation plus rapide.

  • Lithofaciès S3 : Sables boueux verts laminés (laminated green muddy sands) :

Description : le sédiment se compose de sables boueux bien triés, gris-verts, avec des clastes nombreux jusqu’à 3 cm de diamètre. La taille moyenne des grains varie entre 8 et 119 µm.
Interprétation : turbidite sableuse avec des IRD. Les sables boueux laminés évoluent en des boues massives riches en IRD, ce qui sous-entend une turbidite sableuse suivie d’un évènement de débâcle massif.

Plateau de Yermak : lithofaciès Y1 à Y3

  • Lithofaciès Y1 : Boues marron-grises finement laminées (finely-laminated brown-grey muds) :

Description :  les lamines sont gris foncé à marron foncé. La taille moyenne de grains est comprise entre 7 et 20 µm. Les IRD sont absents ou rares. Ce faciès est interprété comme une
Interprétations contourite glaciomarine bouseuse silteuse, déposée sous l’action d’un courant persistant le long de la pente. Les boues laminées sont interprétées ici comme un faciès contouritique en contraste avec les silts laminés interprétés comme des turbidites sur Vestnesa en raison du manque de faciès turbiditique.

  • Lithofaciès Y2 : Boues homogènes gris-vertes (homogenous green-grey muds) :

Description : les sédiments se composent de boues sombres à verdâtres, massives, avec des rares niveaux sableux, parfois laminés. Il y a des IRD épars. Taille de grains moyens entre 3 et 51 µm.
Interprétation : contourite boueuse silteuse glaciomarine alternant avec un faciès hémipélagique à IRD. Ce lithofaciès s'est déposé sous l’influence d’un courant faible mais persistant.

  • Lithofaciès Y3 : Sables gris boueux (muddy grey sands) :

Description : les sédiments se composent de sables mal triés de couleur gris très foncé, comprenant des clastes de tailles variées. La taille des grains moyenne est entre 3 et 156 µm.
Interprétation : niveau d’IRD avec un vannage possible par des courants de fond sur la pente. Une interprétation alternative est une turbidite ou un debris flow fin, mais l’absence de structure interne suggère davantage un transport par la glace.

Discussion

Pré-LGM, mi-Weichsélien : ride de Vestnesa dominée par les contourites et turbidites, ce qui marque l’influence du WSC mais aussi des entrées de courant de bas de pente. La surface de l’eau est dominée par la glace de mer mais avec quelques périodes de courte durée avec des eaux ouvertes. Le plateau de Yermak est dominé par les hémipélagites et les contourites.  LGM, Weichsélien tardif : des drifts de turbidites dominent la ride de Vestnesa, avec une source proximale, et surement de la glace qui s’écoule rapidement sur le rebord de plateforme. Les eaux de surface présentent un couvert de glace de mer complet, bien que des épisodes d’eau ouverte puissent s’être produits. L’amélioration du Bølling Allerød  s’enregistre avec des données d’eau ouverte.  Holocène : contourites de grains fins, avec des IRD épars. WSC actif, avec la présence de glace. Les conditions de surface évoluent de couvertes de glace à plus tempérées avec les eaux de surface nord atlantique s’écoulant vers le nord.  Comparaison intéressante entre les différents taux de sédimentation entre la marge, la pente, les PIS… Les niveaux à IRD sont plus vieux que les niveaux de Heinrich

 Sur le graphique ci-dessus, il est possible de constater que les niveaux à IRD particuliers identifiés sur le plateau de Yermak et sur la ride de Vestnesa ne sont pas synchrones des évènements de Heinrich retrouvés dans l'Atlantique nord ou encore de ceux retrouvés dans la mer de Norvège (Hebbeln et al., 1994, 1998 ; Bond et al., 1992 ; Dowdeswell et al., 1999).

Conclusions

Cette étude de deux sites dans le détroit de Fram (Vestnesa et Yermak) a montré des enregistrements d'une sédimentation glaciomarine et une variabilité de courant de fond durant les derniers 46 ka BP.

Le drift contouritique de la ride de Vestnesa est subparallèle à la marge continentale, fait 120 m épaisseur, 5 km large, et présente 50 m de sédiment bien laminé visible en sismique.

Durant l'Holocène, la sédimentation est dominée par des contourites boueuses-silteuses avec des IRD abondants, déposés sous le courant persistant WSpC.

Durant le LGM, ce sont essentiellement des turbidites silteuses laminées qui se déposent en réponse à l’augmentation des apports sédimentaires par la proximité de l’ice-stream s’écoulant rapidement sur la plateforme, combiné à un niveau marin plus bas.

Durant le pré-LGM, ce sont des turbidites et des contourites associées à des IRD qui s'accumulent.

Les quatre évènements à IRD particuliers enregistrés dans le détroit de Fram sont plus anciens que les évènements de Heinrich décrits en Atlantique Nord et montrent une correspondance avec des évènements à IRD similaires retrouvés dans la mer de Norvège.

Concernant les dinokystes (N.B. : assez peu abordés dans cette synthèse, pour en savoir davantage, se référer directement à l'article) : dur l'Holocène inférieur et la fin du LGM, les dinokystes présentent une flore nord atlantique tempérée avec une forte productivité et des eaux ouvertes. Durant le LGM, il y a une pauvre couverture en kystes de dinoflagellés, mettant en exergue des conditions polaires fortes. Quelques marqueurs d’ouvertures de polynies sont présents. Durant le pré-LGM, les conditions sont polaires malgré quelques rares conditions d’eau ouverte. La productivité est faible.

Références Bibliographiques